François Ozon est l’un de nos cinéastes les plus hétéroclites. Il passe d’un genre à l’autre avec une facilité déconcertante et sans se départir de sa patte et de ses thèmes bien reconnaissables. Avec « Grâce à Dieu », il nous offre avec certitude son œuvre la plus forte, et peut-être la plus aboutie avec le bonbon sucré haute couture qu’était « 8 femmes » il y a déjà vingt ans. Mais surtout, il monte au front avec un long-métrage engagé tiré d’une histoire vraie qui relaie un sujet défrayant la chronique depuis quelques années, celui de la pédophilie des prêtres au sein de l’Église et du silence qui l’entoure. Un film qui pourrait être mis en complément de son pendant américain, « Spotlight », qui se dotait des atours du film d’investigation tandis qu’ici on est davantage dans le drame psychologique et factuel. Sans être une diatribe véhémente et agressive, son film appuie là où ça fait mal avec force et doigté.
D’ailleurs le côté retranscription des faits est peut-être le seul gros point faible du film dans son premier tiers. Basé sur de nombreux échanges épistolaires entre une victime jouée par Melvil Poupaud et des dignitaires de l’Église, elle est censée expliquer le lancement de l’affaire. C’est un peu maladroit, longuet et pas forcément très cinématographique; il faut avouer qu’Ozon aurait pu trouver une autre manière de mettre cela en scène, s’en priver ou alors rendre cela plus concis. Cette première demi-heure n’est pas forcément déplaisante non plus, juste plus faible et surtout dispensable au regard de la suite, puissante, implacable et de haute facture. En effet, lorsque l’affaire est lancée on ne quittera plus l’écran des yeux durant près de deux heures, passionnés et retournés par cette histoire (et toutes celles qu’elle représente). Entre émotion, rage et incompréhension, ce film met nos sens en émois et provoque l’indignation la plus totale envers ces hommes autoritaires et abusifs tout autant que cette institution dépassée qui se veut intouchable. Un film qui fait réagir donc et qui soulève des questionnements et des tabous (coucou les ultra cathos qui préfèrent mettre des œillères ou la Manif pour tous!).
« Grâce à Dieu » a le bon goût de ne jamais verser dans l’excès de pathos ou la complainte stérile. Ozon sait très bien qu’il n’a pas besoin de ça pour réveiller et solliciter l’empathie et la conscience du spectateur. Les faits rien que les faits, autour d’un montage habile et fluide qui voit passer le récit d’un personnage à l’autre de manière évidente grâce à un scénario fort et malin. Certaines séquences font même monter le curseur de l’émotion très haut (sous tension presque) sans aucune musique artificielle, par la seule force de dialogues implacables et d’un jeu d’acteur irréprochable. Des comédiens fortement investis qui, par de simples regards, font ressentir toute la douleur de personnages écorchés vifs dans leur enfance. Des hommes brisés et dont la diversité (psychologique et réactionnelle) permet de cerner l’amplitude de ce fléau et de faire le tour d’un spectre effrayant et de ses nombreuses répercussions sociales, sexuelles et morales. C’est une œuvre coup de poing mais à laquelle l’expression « une main de fer dans un gant de velours » sied parfaitement tant rien n’est agressif ou rentre-dedans mais reste dans le respect. Qui plus est Ozon muscle sa réalisation à chaque film comme en témoigne le sublime plan d’ouverture. Implacable, maîtrisé, fort et nécessaire, du grand cinéma à la fois sérieux et populaire.
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