Considérant son sujet et son caractère ultra contemporain, grâce à Dieu marche sur des œufs - là où un autre marchait sur l’eau.


Il faut beaucoup de délicatesse et de pudeur pour attaquer de front un sujet qui évoque l’exact opposé. La violence subie par des enfants est par essence un sujet âpre, qui nécessite d’être abordé avec retenue.
Il faut aussi prendre en compte l’aspect religieux, rester sur le fil: à l’équilibre entre la colère, la volonté de dénoncer, de crier, et le respect pour une présomption d’innocence sacro-sainte au civil, et par extension pour une institution qui rassemble encore quelques fidèles.


François Ozon a pris le parti d’une narration multiple: passant d’un personnage à l’autre au fur et à mesure que le groupe “la parole libérée” s’étoffe.
Cette pluralité permet d’embrasser la psychologie de chacun, de donner plusieurs pistes au spectateur qui trouvera au fur et à mesure des réactions qui pourraient être les siennes. On évite de se retrouver bloqué parce qu’un personnage garde la foi alors qu’on ne le suit pas sur cette voie, ou à l’inverse parce qu’il l’a perdue. Le film n’oublie jamais qu’il traite de l’intime et que chacun a son mode de pensée, son fonctionnement, son vécu.
En n’oubliant pas l’humain, Ozon traite au mieux son sujet, en parfaite opposition avec une omerta bien lourde et une prise en charge du problème bien loin des préceptes catholiques.


L’intelligence du réalisateur, c’est aussi de comprendre que son public n’aura pas forcément envie de ruer dans les brancards.
En débutant par le récit d’Alexandre, on est tout de suite saisi par le grand écart entre les échanges épistolaires ampoulés, les belles phrases pleines de compassion et de prières, et le traumatisme de l’enfant blessé.
L’affreuse loi du silence et le voile de bienséance avec lequel on tente de camoufler l’inconcevable prend peu à peu le dessus, et en sentant Alexandre perdre espoir on mesure le nouvel épisode de violence qu’il est en train de vivre..


L’impact de ces échanges est sans doute plus fort que ne le seraient des images, des passages de colère et de revendication.
Alexandre est calme, pétri par des années de pratique religieuse assidue, un vrai produit “du cru”.
C’est parce qu’il est respectueux et parle le même langage que ses interlocuteurs qu’il est une bonne porte d’entrée dans le sujet: pour ceux qui connaissent le catholicisme, c’est une manière de leur dire qu’on en connaît le fonctionnement, pour les autres ce sera une découverte.


On appréciera mieux ensuite de rencontrer des personnes aux réactions plus violentes, parce qu’on aura compris qu’Ozon sait que le rapport à la religion est très personnel, que la foi est une donnée variable, qu’il appartient à chacun de réagir à sa façon.


Le noeud du problème, c’est la contradiction qui existe entre le discours de l’Eglise qui prône l’amour de son prochain, le respect, le pardon, la main tendue; et le comportement inacceptable d’un représentant du culte, puis le silence et l’inaction coupables.
Le paradoxe est gênant pour les instances religieuses qu’il met face à leurs responsabilités, et c’est là que le rôle d’Alexandre est encore primordial: sa démarche initiale n’avait pas pour objectif d’étaler publiquement le scandale, mais d’obtenir des excuses et une prise de conscience de la part de l’Eglise.


Grâce à Dieu arrive à faire bouger le curseur: le dégoût qu’on éprouve n’est plus seulement dû à ce que le père Prénat (et d’autres) a fait subir aux enfants, il se généralise à tout un système de pensée archaïque, à une absence totale de prise de conscience, à un manque d’humanité et de responsabilité. Le piétinement des belles valeurs d’amour au profit du lustre d’une institution arc boutée sur sa position et dépassée n’a pas besoin d’être formulé: le film l’expose assez clairement de bout en bout.
En restant borné dans sa volonté de sauvegarder les apparences, c’est tout l’appareil religieux qui se fourvoie et perd sa crédibilité.
Les familles des victimes sont également éclaboussées par le film qui en suivant les différents protagonistes montre plusieurs réactions de l’entourage, pas toujours responsable ni conscient du mal fait à leurs enfants. C’est une nouvelle blessure pour le spectateur de constater la solitude à laquelle ont pu être confrontés les jeunes garçons: quand même la cellule familiale n’est plus un refuge, on imagine les difficultés à se construire.


François Ozon a su s’emparer d’un sujet éminemment épineux, et par petites touches, par des portraits délicats, en faisant intervenir une pléiade d’acteurs investis et vrais (tous très bons), il a réussi à transmettre un message noir, désabusé, accusateur, sans pour autant tomber dans la calomnie ou dans l’accusation frontale.
C’est parce qu’il s’appuie sur des témoignages, sur des courriers, des interviews qu’on peut estimer la crédibilité du film.


C’est au spectateur de se faire une opinion, de se retrouver seul face à sa foi/sa culture/ses convictions pour analyser le propos à sa propre hauteur.


Un film marquant qui permet de mettre en perspective un fait d’actualité, de le sortir des Jt pour l’incarner, pour y réfléchir différemment, pour se souvenir que derrière le sordide et les faits il y a des enfants et des hommes.

iori
8
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le 18 sept. 2019

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iori

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