Si c'est ce genre de cinéma que vous voulez soutenir, soutenez des oeuvres qui en valent la peine !

J'attendais la sortie de Grave avec autant d'enthousiasme que de méfiance, ne sachant que trop bien la manière dont certains cinéphiles trop heureux de voir un film de genre français aurait tendance à le surestimer pour encourager la production de ce genre d’œuvres trop peu courantes dans l'hexagone, faisant fit de nombreux défauts qu'ils ne lui pardonneraient jamais si il avait l'affront d'être américain. Je n'ai jamais compris cette obsession de voir émerger un cinéma d'horreur en France. Je conçois que cela doit être frustrant pour un cinéaste amoureux du trip horrifique de ne pouvoir concrétiser ses ambitions artistiques dans son pays natal, mais en tant que spectateur, je m'en fous. Si j'ai envie de voir un film horreur, je me tourne vers des pays qui en produisent. On ne diffuse pas que des films français dans nos cinémas hexagonaux et si certaines œuvres sont mal distribuées par chez nous, T411 est là pour vous les faire rattraper. D'où ma question, pourquoi vouloir à tout prix faire en France ce qui se fait si bien à l'étranger ? Parce que encourager la création artistique dans un catalogue français coincé du cul c'est une chose, mais si c'est pour systématiquement se retrouver avec des séries Z débiles et excessivement gores comme en produisent si bien les USA à la pelle (Sheitan, Martyrs ou La Horde) ça ne vaut pas le coup.


Reconnaissons toutefois à Grave l'avantage de ne pas sombrer dans le gore outrancier comme ses prédécesseurs. On sent là une volonté auteuriste derrière ce film, celle de raconter une histoire et de se servir de la violence comme d'un outil nécessaire au récit et non comme une fin en soit. Néanmoins, c'est le seul point sur lequel la réalisatrice fait preuve de retenu.


Alors certes l'histoire est une (grosse) métaphore de l'adolescence et de la transformation d'une jeune fille en femme. Mais je ne vois pas quoi ça ferait de Grave un bon film. C'est pas le tout d’exhiber ses symboliques avec grossièreté, l'important est de savoir si l'analogie est pertinente et à quel propos elle amène. Quel intérêt y a t-il à mettre en scène le cannibalisme si il est utilisé pour traiter d'un sujet qui n'a rien à voir ? Est ce que cette comparaison est vraiment pertinente ? J'en doute puisque tout au long de son évolution, Justine va progressivement se dévergonder. De sa tenue au ras des cuisses, jusqu'à sa façon d'aguicher les mecs, allant même jusqu’à écouter du Yelle devant sa glace pendant qu'elle se met du rouge à lèvres. Cette fille évolue comme une adolescente que les hormones inciteraient à vouloir du Sexxxxxxxxx, alors qu'elle est censée n'avoir envie que de chaire humaine à dévorer. Or, si elle n'était uniquement motivé que par ses instincts cannibales, rien ne l'obligerait à se comporter ainsi. Et si encore son trip c'était juste de bouffer la chaire des garçons parce que se serait la plus savoureuse, mais non, on nous montre bien que tout lui file les crocs. Les hommes, les femmes, les animaux et même les cadavres.


L'analogie entre désir sexuel et cannibalisme n'a donc aucune pertinence et est ici amenée de manière artificielle, tout cela pour donner de l'épaisseur à un film qui, sans cela, en serait complètement dépourvu.
Pas l'ombre d'une réflexion dans ce long-métrage, tout n'est qu'une question de forme. Julia Ducournau s'est juste dit qu'elle allait montrer le cannibalisme comme une métaphore de l'adolescence, sans apporter aucun regard personnel sur le sujet qu'elle est censée traiter.


Côté mise en scène en revanche, il y a du mieux. Certains plans sont en effet très réussis, il y a de bonnes idées qui accompagnent très bien la portée de certaines scènes et la bande-son est toujours soigneusement ajoutée aux images, en plus d'être souvent magnifique. Cependant, si la réalisation est travaillée, elle est toutefois très inconstante. Certaines séquences sont très esthétisées quand d'autres sont d'une platitude abyssale. Par conséquent il ne se dégage aucune véritable ambiance au sein de ce long-métrage, rien qui ne nous prenne au trip et qui nous fasse inconsciemment ressentir des émotions fortes sans que l'on comprenne comment. A l'inverse je n'y ai ressenti qu'un relatif plaisir esthétique et non sensoriel.


J'ai également vu plusieurs personnes qualifier ce film de "court-métrage étiré" et je comprend totalement ce reproche due selon moi à trois importantes faiblesses dans le scénario.


Premièrement un manque total d'attachement et d'empathie pour les personnages. Ce n'est pas tellement des problèmes de jeu, leur diction a beau être catastrophique, ils restent physiquement impliqués dans ce qu'ils sont entrain de vivre, autant dans le regard que la gestuelle et c'est particulièrement visible pour Garance Marillier qui, pour un premier rôle au cinéma, se débrouille bien hormis deux trois regards forcés et risibles. Non le souci se situe plus dans la caractérisation des protagonistes.
Alexia la sœur de notre héroïne est en quelque sorte son jumeau maléfique. Tout les opposent au début du film, mais Justine est destinée à devenir EXACTEMENT comme elle. Elle n'est pas spécialement attachante mais n'a pas vocation a l'être. Elle est surtout le reflet de Justine, d'où la raison de leurs querelles impromptues. Cette dernière déteste sa sœur autant qu'elle l'adore parce qu'elles sont pareilles et qu'elle se comprennent. Le sort de cette fille nous est donc indifférent car elle n'est qu'un personnage fonction au sein du récit.
Il en va de même pour Adrien le coloc. Je vais vous dire, quand il est apparu la première fois, je me suis dis, enfin un personnage homosexuel allant à l'encontre totale de tous les stéréotypes. Grand, musclé, virile, magrébin, avec un phrasé de banlieusard; il n'informe sa coloc de son homosexualité qu'au détour d'une phrase anodine, comme si ça n'avait aucune importance. Rien d'anormal là dedans me direz vous (à moins d'être homophobe bien-sûr) mais c'est tellement rare de voir ça au cinéma que c'est toujours bon à saluer. Hélas, la suite du film m'a terriblement déçu puisque le scénario ne cessera d'appuyer l'homosexualité du protagoniste sans que cela n'apporte quoi que se soit à son développement ou au film de manière générale. Adrien n'est caractérisé QUE par sa sexualité, il n'a aucune autre personnalité en dehors de ça et sert juste d'interlocuteur à Justine. Et je dis bien "d'interlocuteur" parce qu'on ne croit pas 5min à la forte amitié que ces deux personnages sont censés avoir noué et encore moins à l'attirance sexuelle que l'un porte à l'autre.
Son importance va toutefois s'étoffer au fil du film puisque l’appétit de Justine pour les humains se précisant, toute la question du récit sera de savoir si elle va finir par le bouffer ou non.
Enfin, Justine a beau être présenté comme une fille candide et fragile aux mains de seconde année qui par leur bizutage l'oblige à la décadence, elle ne semble pas tellement souffrir de sa condition pour autant. On sent que ça la gave, mais de là à ce qu'elle en souffre ou qu'elle se sente oppressée par cela....non.... C'est d'ailleurs à se demander pourquoi elle ne rembarre pas les bizuteurs.... pardon ? Parce que sinon elle serait moquée et rejetée par toute la classe..... est ce qu'on la voit trainer avec une autre personne que sa sœur ou son coloc durant tout le film ? Voilà.
De même, ses envies de chaire fraiche devraient la faire souffrir au plus au point. On la voit choper de l’exéma au début et s'agiter dans son lit comme si elle avait ses règles, mais c'est dans tout le film qu'on devrait la voir galérer à gérer cette situation. Dans la logique du long-métrage, elle devrait livrer un combat de tous les instants avec ses démons intérieurs. Au lieu de ça, même si elle n'assume pas ce qu'elle est, on la voit d'avantage céder à ses pulsions ou à essayer de le faire plutôt que d'y résister. Par conséquent, on a pas la sensation que cette situation la pèse et donc rien n'est fait pour nous placer en empathie vis à vis de son sort.
Nous ne suivons le film que parce que la situation qu'elle vit est intrigante, mais pas parce qu'on se sent impliquée dans son parcours émotionnel et encore moins pour savoir si elle va finalement bouffer Adrien.


Ce qui m'amène au second problème du scénario, l’absence totale d'enjeux. En effet, étant donné qu'on en a absolument rien à foutre du coloc, on se fout de savoir si elle va lui dévorer l'aile ou la cuisse. Il n'y a donc aucune raison pour qu'on s'intéresse à ce putain de film.


Enfin troisième point, une mauvaise construction du récit. Non seulement le film manque d'enjeux mais en plus il manque de péripéties, car passé la révélation sur la véritable nature d'Alexia, il ne se passe plus grand chose dans cette histoire et si la mise en scène esthétisée ne maintenait pas nos rétines en éveil, on verrait d'autant plus que le scénario est extrêmement plan plan. Alors qu'il y avait tellement de possibilité pour enrichir le récit. On ouvre quand même le film (sans le savoir) sur une des nombreuses victimes d'Alexia qui provoque des accidents de voiture pour y dévorer les passagers morts ou blessés. Elle fait ça depuis combien de temps ? Est ce que le commissariat a ouvert une enquête ? Pourquoi on en parle pas plus que ça alors qu'il semble régulièrement y avoir des accidents pile au même endroit ? Pourquoi Justine ne tente pas d'en savoir plus sur ces agissements ou d'empêcher sa sœur de les pratiquer si elles les jugent scandaleux ?
Est ce que vraiment ça n'aurait pas été plus judicieux de creuser cet aspect du scénario afin d'enrichir la relation entre les deux sœurs, d'étoffer le personnage d'Alexia, de créer de vrais enjeux consistants et d'offrir un arsenal de péripéties qui auraient pu rendre le récit plus passionnant ? Est ce que franchement c'était pas un choix plus intéressant que de filmer les sœurettes entrain de pisser debout sur le toit de l'école ? Je laisse la question ouverte.
Parce que du fait de cette construction imparfaite, on a l'impression qu'il manque quelque chose au film, alors qu'il est paradoxalement encombré par beaucoup d'éléments inutiles. Je n'ai alors eu aucune sensation d'aboutissement au moment de la fin que je n'avais d'ailleurs pas vu venir, je ne m'attendais pas à ce que ça s'arrête maintenant et je suis limite ressorti en me disant... "Tout ça pour ça ?!"


Ainsi, pour en revenir à l'argument des détracteurs, on a donc un film sans enjeux, avec très peu de péripéties et des persos nuls. Grave ne tient que sur son concept, concept qui aurait pu être parfaitement exploité dans un court-métrage de 20-30min. Mais là, comme nous ne sommes pas dans un court, mais un long-métrage, nos attentes ne sont pas les mêmes. De ce fait, non seulement on ressort de là avec un sentiment de manque, comme si le film était incomplet, mais en plus on sent nettement les longueurs et tous les ajouts inutiles insérés dans le scénar pour allonger artificiellement la durée du film.


Bien-sûr tout n'est pas à jeter. Certaines scènes valent le coup d’œil malgré une réal inconstante et l'histoire reste assez peu prévisible malgré un scénario bancal. Je pense que Ducournau a un certain talent et qu'elle a le potentiel pour faire de grandes choses, mais son premier né a des défauts et ce n'est pas lui rendre service que de les effacer en hurlant au chef d’œuvre sous prétexte qu'il sort du lot par rapport à tous les films français de cette année.


Si vous voulez voir un bon film d'horreur, jetez un coup d’œil sur le marché étranger, ils en sortent 5 par an des "Grave". Et si vous voulez taper dans du cinoche français un peu détonnant et atypique, piochez dans les œuvres de Jean-Pierre Jeunet, Albert Dupontel, Gaspard Noé, Jan Kounen, Michel Gondry, Leos Carax, François Ozon, Michel Hzanavicius ou Quentin Dupieux (même tournés aux USA, ses films sont largement financés par des studios français), des réalisateurs très différents qui, sans forcément faire du cinéma de genre, ont su développer un style unique en puissant dans diverses influences filmiques populaires et qui savent utiliser la saleté, la transgression et la violence si nécessaire.


Grave n'est pas une exception dans le paysage audiovisuel français, il y aura toujours des films qui sortiront des sentiers battus de la comédie beauf ou du drame auteuriste chiant. Si c'est ce genre de cinéma que vous voulez soutenir, soutenez alors des œuvres qui en valent la peine.

Alfred_Tordu
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le 23 mars 2017

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Alfred Tordu

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