Sept ans après Les fils de l’homme, Alfonso Cuarón revient avec Gravity, survival spatial à couper le souffle et allégorie poignante sur la nature même de la Vie.

Gravity offre une expérience sensorielle aussi bouleversante que terrifiante qui touche à cette part de peur viscérale liée à l’instinct de survie. Nous ne sommes plus spectateurs ; nous sommes personnages à part entière, complètement immergés dans une aventure vertigineuse et profondément humaine.

“Gravity n’est pas un film de science-fiction” affirme le réalisateur. “C’est de la fiction spéculative”. Le scénario imaginé par Alfonso et Jonás Cuarón tire sa force de postulats bien réels, dont notamment le syndrome de Kessler : les déchets issus de précédentes explorations spatiales rendent les missions en orbite de plus en plus dangereuses pour les astronautes. L’on s’attendrait presque à lire la mention “inspiré de faits réels” avant le générique de fin, mais nul besoin de tels artifices pour convaincre que les mésaventures de Ryan Stone et Matt Kowalski pourraient tout à fait se produire. En outre, Cuarón s’attache à filmer son intrigue de la manière la plus réaliste possible et la pensée que ce spectacle manquerait de crédibilité ne nous traverse jamais l’esprit.

Majestueuse et nourricière, la planète bleue surplombe les plans, telle une présence rassurante à laquelle il faut à tout prix rester attaché, quelle qu’en soit la manière. L’horreur de perdre tout contact avec la Terre est suivie d’une terreur sans nom de la dérive à l’infini que suscite l’absence totale de gravité, parfaitement retranscrite à l’écran. Lorsque Ryan, détachée, s’écarte de plus en plus de son collègue et de la station spatiale et plonge peu à peu dans l’obscurité glaciale de la face cachée de la planète devenue menaçante, nous sommes à ses côtés, le souffle court. Cuarón développe des trésors de mise en scène alternant émerveillement – les plans de la Terre vue de l’espace sont un pur délice – et terreur. L’exceptionnel plan-séquence, qui n’en est d’ailleurs qu’une portion, que constitue la bande-annonce de Gravity est un exemple flagrant de ce que le film peut offrir en termes de sensations : sur grand écran, et grâce à une 3D brillamment immersive, l’effet physique et émotionnel procuré n’est comparable à rien de ce qui s’est fait auparavant au cinéma. La bande originale de Steven Price a un rôle à part entière dans cette expérience, redoublant d’ingéniosité pour faire ressentir l’angoisse, la terreur, le soulagement… ou même le silence.

L’oeuvre, que l’on qualifierait avant tout de survival, aurait pourtant un goût d’inachevé si les Cuarón n’avaient su inclure à leur récit une part d’émotion et surtout, une symbolique touchant à la nature même de l’Homme. Les caractères des deux protagoniste, offrant des moments touchants et même quelques pointes d’humour, contrastent avec les peurs de la solitude et de l’enfermement, que ce soit par le silence, par une petite capsule de métal ou par le vide. George Clooney en particulier, par son lâcher-prise, ses anecdotes imparables et son insupportable manie de diffuser de la musique par la radio de sa combinaison, représente un des éléments les plus rassurants de Gravity. Par contraste, Sandra Bullock – qui a trouvé son meilleur rôle – fait résonner toutes nos incertitudes, et en cela, devient attachante. Son instinct de survie devient le nôtre, alors que nous l’accompagnons sans répit d’un danger à l’autre, à la lisière du désespoir. Plus qu’une héroïne de fiction, elle représente l’Humain, traversant les épreuves, existant de plus belle à travers une renaissance aussi visuelle que spirituelle. Quoi de plus symbolique que de couper le cordon qui nous relie à la mère (terre) nourricière, à tout ce que nous connaissions avant de naître vraiment ? Comment s’inscrire dans la continuité de ce cycle et continuer d’avancer une fois privé de tout repère ? Tout le dénouement de Gravity trouve écho dans le cycle même de cette Vie, célébrée et représentée de manière époustouflante, jusqu’à la dernière seconde.

Alfonso Cuarón repousse les limites du septième art comme les derniers pionniers de l’exploration spatiale ont repoussé les frontières du monde connu. Sans relâche, Gravity nous hurle de ne jamais lâcher prise. Et c’est pourtant ce lâcher prise qui pourrait bien être notre chance de salut.

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le 25 sept. 2013

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Filmosaure

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