1...2...3 parés au décollage

En 1895 les hommes ont fait l’expérience étonnante de la vidéo avec le célèbre court-métrage de l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat. Images si saisissantes que des personnes ont reculé de peur que le train leur rentre dessus ! Plus d’un siècle plus tard, la technologie du cinéma a franchit un nouveau bond. Une 3D avec une profondeur inégalée, une image nette et aucun flou, des objets qui arrivent à fond à l’heure dans les yeux… On ne regarde pas un film dans l’espace, on EST dans l’espace ! L’immersion est totale, au point de se demander si comme l’héroïne on ne va pas manquer d’oxygène. Si mon rythme cardiaque avait été analysé par un centre médical durant la projection, on m’aurait demandé sans aucun doute de me calmer ! Réalisateur d’un des meilleurs Harry Potter (si ce n’est le meilleur) et d’un des meilleurs films d’anticipation, Alfonso Cuaron frappe une nouvelle fois.

L’espace est un endroit hostile, ni oxygène, ni pression, des températures glaciales ou au contraire brûlantes. Il est très malaisé de se déplacer. Aucun air pour stopper le mouvement, rien pour arrêter un roulement sur soi-même conduisant rapidement à un malaise et à la perte de repères. Rien pour diminuer sa vitesse si ce n’est subir de plein fouet la poussée en heurtant un autre objet, entraînant une réaction qui va propulser dans l’autre sens. Ainsi, lorsqu’une pluie de débris s’abat lors d’une mission de routine, c’est la catastrophe. A rappeler que les déchets de l’espace sont un véritable problème actuellement. Issu des satellites en fin de vie, ils s’accumulent de plus en plus, et avec rien pour les freiner, une simple visse est capable d’endommager un satellite.

La destruction de la navette est impressionnante ! Elle est déchiquetée, tout vole dans tous les sens, une vraie pluie de débris mortels fusent à toute vitesse et détruisent les coûteuses constructions humaines à la fragilité dérisoire. Commence alors un vrai combat pour la survie pour Ryan Stone, ingénieure de génie mais inexpérimentée dans l’espace.
Depuis un terrible drame, elle noie sa douleur dans le travail, sans jamais se poser. Là, elle se retrouve complètement isolée, dans un silence de mort oppressant et un milieu complètement hostile, inadapté pour l’homme, où sa vie ne tient qu’à un fils. Elle doit alors pour la première fois faire face à son passé, et trouver en elle des raisons de continuer à vivre. S’engage une lutte contre la montre pour trouver une navette qui pourra la ramener sur Terre. Lutte contre la montre avant que l’oxygène s’épuise, avant que la station ne se détruise, avant que les débris mortels s’abattent à nouveau. Alternant vue de loin et vue à la première personne, on est comme présent à ses côtés. On ressent sa peur, sa panique. La tension est à son comble.
Mais l’espace, ce n’est pas qu’un endroit inhospitalier. C’est un endroit qui offre un point de vue unique sur notre bonne vieille planète. Surplombant les continents, les mers et les nuages comme aucune photo ne les montrera jamais. Obscurité totale ou un soleil étincelant dardant ses rayons dans tous les sens. Avec parfois des aurores boréales illuminant la vue. Sans gravité, les larmes ne coulent pas, elles volent, gardant consistance. Des objets en tout genre flottent, objets humains incongrus en cet environnement, rappel du monde qui attend l’héroïne, de ce qui nous rattache à nos semblables.

Georges Clooney compense sa présence réduite par un humour bienvenu. Si la réalisation innovante est la véritable force du film, Sandra Bullock parvient très efficacement à nous faire partager ses angoisses et sa vulnérabilité (et en plus elle a de très belles jambes ;) ). Une musique lancinante vient avec justesse accompagné la tension et la solitude.
Certes, le film est court, mais il n’aurait pas pu durer plus longtemps sans provoquer un sentiment de lassitude. Une forte tension ne peut être prolongée trop longtemps, la fin du voyage arrive donc à point nommé. Et c’est bien de voyage qu’il est question. Un voyage hors du commun, une expérience cinématographique inégalée, la perfection du cinéma comme créateur de rêve à son apogée.

Pourtant, on pourrait être en droit de ne pas être totalement emballé. Le film mise tout sur la réalisation et le scénario est des plus simplistes. Un reproche souvent formulé pour ce genre de productions. Auquel je réponds que ce n’est pas un problème si la mise en scène compense, surtout que de nombreux films reconnus et y compris des classiques ont procédé de même. Plusieurs films considérés comme classiques le sont en effet parce qu’ils ont été innovateur techniquement. Néanmoins, petite facilité scénaristique dès que l’ingénieur arrive à une station, c’est à ce moment là qu’elle est détruite ! Alfonso Cuaron détruit sans vergogne l’ISS, mais n’est-elle pas censé être déviée justement en cas de menaces de débris ? Enfin, même si on a eu le droit à une jolie scène intimiste teintée d’onirisme, le film se base majoritairement sur la tension plus que sur le développement du personnage. Je comprends, mais sans adhérer, les détracteurs, pour qui « Gravity » fait l’objet d’un buzz injustifié suscité par des gens aveuglés par la beauté de l’image, et qui n’est pas le chef d’œuvre annoncé.

Finissons cette critique en ouvrant sur un débat. « Gravity » prend toute son ampleur avec la 3D sur grand écran. En 2D sur petit écran, il perdrait pas mal de force, sans forcément perdre tout intérêt puisque resterait la tension omniprésente. Mais serait-il aussi marquant, aussi innovateur ? Car si le film a tant fait parler de lui, relayé par la presse qui n’a pas hésité à parler de chef-d’œuvre -comparant abusivement à 2001, qui outre qu’il se passe aussi dans l’espace est fort différent -, c’est justement par cette immersion inégalée permise dans les salles obscures. Cela n’enlève rien à la qualité du film, à la mise en scène aboutie, mais qu’en est-il sur la durée ? Un impact moindre que 2001 certainement, mais je ne pense pas qu’il vieillira mal. Même avec les progrès futurs de la 3D, il restera une formidable prouesse technique, et petit ou grand écran, relief ou non, la tension asphyxiante, la poésie du périple, se feront toujours ressentir, laissant soin à l’imagination du spectateur de construire le réalisme manquant. Et pour ceux qui ont eu la chance d’être aller le voir au cinéma, cela restera comme un souvenir marquant.
Enlak
9

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le 30 oct. 2013

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