«La perfection faite science-fiction ?» ; «Un film unique dans l’Histoire du cinéma. Du jamais vu.» ; «Intense, sublime, spectaculaire, ingénieux.» Non, ce condensé (très) représentatif de critiques presse n'évoque ni le chef d’œuvre de Stanley Kubrick ni la comédie spatiale de Kad et Olivier. Non, nous sommes ici en présence d'un fait très rare : l'unanimisme journalistique. Affirmer qu'on avait rarement vu ça serait un bel euphémisme. Et bien que tous ne fussent pas du même avis, le constat est là, tout le monde est d'accord : Gravity est un chef d’œuvre.

Un métrage, par ailleurs, dont personne n'avait entendu parler avant que la rumeur ne s'impose. Il a pourtant fallu près de cinq ans à Alfonso Cuarón, son cinéaste, et son fils Jonas pour réaliser ce projet titanesque. À l'origine ? Une envie infantile de tourner dans l'espace. «Dès le départ, Chivo, Tim et moi avons souhaité que les plans soient réalistes, à tel point qu'on ait l'impression qu'on s'est contenté de filmer l'espace. Cela aurait été mon rêve, mais, bien entendu, c'était irréalisable.» On sent derrière ce projet une âme d'enfant, celle de son concepteur. À travers elle gravite ses fantasmes de metteur en scène, ses aspirations, ses utopies. Ce que la réalité ne peut lui offrir, le cinéma lui donne vie. Scénariste, producteur, réalisateur, monteur, Cuarón est partout. Gravity est indiscutablement son plus beau bébé.

Une progéniture dont la mutation fût longue. Le temps d'élaborer une histoire puis de réunir la technologie nécessaire pour la faire vivre. À moins que ça ne soit l'inverse ? Car l'essence de sa réalisation est principalement d'ordre technique. Pour donner vie à Gravity, Cuarón s'est aidé de la NASA : sa documentation, son expertise, ses archives. Mais aussi d'ordinateurs ultra-puissants, capables de mélanger infographie et animation. Puis, afin de reproduire les sentiments de gravité, d'apesanteur, de créer une technologie totalement inédite, la "Light Box". L'objectif de cette longue gesticulation technologique ? "Dès le départ, [...] il nous semblait essentiel que le spectateur se sente immergé dans l'espace, comme dans l'histoire». Explique le metteur en scène espagnol. Objectif réussi ; d'autant plus aux États-Unis où un véritable journaliste lui a demandé, de bonne foi, comment il s'y était réellement pris.

Au berceau de la fascination qu'exerce Gravity : notre rapport à l'enfance, au métaphysique. Cet émerveillement provient du même moule que celui qui nous anime lors des émissions scientifiques. «C'est incroyable!» se dit-on, souvent, devant ce monde qui nous échappe encore complètement. À l'instar du commandant de la navette spatiale américaine Explorer, Matt Kowalski (Clooney, impossible à juger) se répétant la même chose en mettant des mots là où notre ébahissement demeure, Cuarón joue de cet éternel éblouissement qu'évoque en nous le monde des étoiles. Alors oui, c'est sublime. Et oui, on en prend plein les yeux. Le cinéaste espagnol déploie toute la puissance, la mesure de sa nouvelle technologie pour nous scotcher au fauteuil et nous faire comprendre que nous n'avions jamais vu ça. Et il aurait raison : on a jamais vu ça. Sauf que le cinéma ce n'est pas ça, ce n'est pas la démonstration à grande échelle d'une nouvelle technologie. Ce n'est pas le spectacle pyrotechnique d'une simple découverte ou d'une innovation technologique. Le cinéma c'est de l'émotion.

De l'émotion avant tout, James Cameron l'avait bien compris : son Avatar profitait pleinement de sa 3D révolutionnaire pour mettre en scène une histoire, un univers, un monde imaginaire où des personnages magiques venaient nous conter un récit universel. Ce fut la priorité non négociable du papa de Titanic lorsque lui était donné le choix de privilégier les considérations techniques aux fondements majeurs de sa narration. On se souvient que chacune ou presque de ses réalisations bénéficia d'une révolution en terme d'effets spéciaux : Terminator 2 profita du procédé du Morphing pour rendre encore plus terrifiante la figure de son T-1000. Avec Abyss il repoussa les limites en présentant, pour la première fois, des effets spéciaux sur des liquides. Sans parler d'Avatar et sa 3D incomparable. Après une décennie à bouleverser le monde des effets, jamais le cinéaste n'a pensé à autre chose qu'à sa fonction première : émouvoir le spectateur.

Celles de Gravity existent mais ne sont pas des émotions de cinéma : ce sont des émotions touchants à notre inconscient le plus enfantin et notre rapport à ce qui nous hypnotise le plus : ce que nous ne comprenons pas. Des émotions «faciles», pourrait-on tenter de dire, à l'image de celles qui ne laissent personne insensible, celles qui nous saisissent sans réelles explications : la nature, les animaux, le monde et... l'espace. Gravity est une expérience, sans aucun doute, comme le sont les attractions visuelles du Futuroscope. Mais question cinéma, on retombe sur Terre. Impossible, toutefois, de ne pas voir l'intégralité des moyens engagés pour nous accrocher : vrombissement calculé du son lors des scènes clés, monologues larmoyants en plans serrés, successions poussives de catastrophes, discours crédule sur la mortalité. Un aspect très «Hollywoodien», signature totale d'un projet bien trop occupé à soigner sa forme que son fond.

De sentiments, néanmoins, la narration n'en manque pas. À travers l'histoire de son héroïne principale, l’astronaute scientifique Ryan Stone (Sandra Bullock, honnête), le film évoque les thèmes du deuil, du lâcher prise, du déracinement. "Ryan a perdu un être cher. Elle s'est repliée sur elle-même. […] Nous voulions explorer le potentiel métaphorique d'un personnage perdu dans l'espace qui s'enfonce dans l'univers.» Sur le papier, le propos est touchant, méta, à plusieurs lectures. À l'écran, le résultat est plat, mielleux, tire larmes et facile. On aurait pourtant aimé être touché par cette astronaute déracinée qui a perdu sa fille de quatre ans. On aurait adoré ressentir le rapport théologique et maternel entre le vide qui ronge cette femme et son lien vital avec la Terre, «où se concentrent l'élan vital et les rapports humains». Mais rien n'y fait car rien n'est travaillé. Les ficelles dramatiques sont trop claires, trop vite déclarées. Les évidences relationnelles, les allégories entre le destin de cette femme et son rapport à la gravité sont d'une subtilité inexistante. Le symbolisme est lourd et inopérant. De la même manière, dans sa quête de survie, Stone doit relier divers stations spatiales : une est Américaine, l'autre Russe et la dernière est Chinoise. Un message de paix, gluant de bons sentiments, attestant clairement du manque de profondeur dont est régi l'ensemble du psyché de Gravity.

Pour autant, ce voyage est-il une mauvaise expérience ? Incontestablement, non. Est ce une déception cinématographique ? À plus d'un titre, oui. On touche ici à toute l’ambiguïté qui a régné à l'heure des verdicts l'ayant, à quasi unanimité, consacré comme plus grand film de l'année. James Cameron fait parti de ceux là : «J’ai été abasourdi, absolument terrassé par le film. Je pense que c’est la meilleure photo de l’espace jamais vue, le meilleur film sur l’espace jamais réalisé.» On comprend sa joie, lui, le maître de la 3D et des effets numériques, devant le travail de son apprenti qui doit beaucoup au sien. Puisque ce film, il a sûrement rêvé de le tourner, d'en inventer ses décors et ses méthodes de réalisations. Ce qui abasourdi Cameron, encore une fois, c'est la technique. Encore elle, toujours elle.

Question de point de vue en somme : les critiques, dithyrambiques, ont-elles eu raisons ? Ont-elles eu torts ? Les avis sont subjectifs et tiennent principalement de l'angle avec lequel nous percevons l’œuvre de Cuarón. Ce qui n'empêchera personne de louer les prouesses, indéniables, réussies par le metteur en scène et son équipe. Le problème réside ailleurs, Gravity est une question de cinéma : pourquoi y allons nous ? Pour être divertis, distraits, occupés ? Ou bien pour vivre de grandes émotions, être touchés au plus profond ? Un vaste sujet, sans nul doute, auquel il sera difficile de répondre, au vu de l'incroyable succès du film. Signature de plus de cette grande attraction à sensations fortes qui, à trop flatter l’œil, aura cruellement manquer de cœur.
Nicolas_Chausso
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le 2 nov. 2013

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