Cela commence comme un Scorsese. On croirait retrouver le New-York italien des 60's et des 70's, où la pègre en gomina œuvre en coulisse des cabarets clinquants et des opulentes tables de dîners en famille le dimanche après la messe.


Passé cette introduction presque mythique du cinéma américain, le film emprunte la route qui le mènera jusqu'à sa fin. Une autoroute à deux voies: le "road trip" et le "buddy movie". Il ne s'en détournera jamais. Et l'on peut le regretter tant le film, tout sympathique qu'il est, développe une histoire conventionnelle, sans un seul écart sur son chemin. On comprend de ce fait son sacre aux Oscars, Green Book est taillé à même le métal de la statuette dorée, idéal pour recevoir la récompense suprême. 


Mais malgré cette forme d'un classicisme sans doute un brin ennuyeux, le fond du film lui s'avère plus retord et malin. En inversant les rôles, en retournant les stéréotypes, Green Book donne à voir une Amérique encore fortement assise dans la ségrégation raciale. Où ce racisme omniprésent, peu importe la classe sociale ou la couleur de peau d'ailleurs, est un état de fait plus qu'une opinion forgée. Le retournement de Tony Lip, brillamment interprété par un Viggo Mortensen bedonnant et rustaud, confirme cette démonstration. Il est raciste par habitude, par conformité et par tradition. Dès lors qu'il vient à rencontrer le personnage Don Shirley, lui aussi joué avec conviction et dignité par l'excellent Mahershala Ali, ses certitudes ancrées en lui s'érodent déjà. Ce glissement progressif du préjugé vers l'ouverture à l'autre est je dois dire efficacement réalisé. 


Le ton du film, volontairement léger et comique, évite un pathos qu'on pouvait craindre. Certes il flirte avec les bons sentiments de rigueur, les violons parfois prennent le pas sur le piano virtuose; néanmoins les deux heures filent vite et bien. L'émotion est légère, les situations cocasses franchement réussies. Après tout, Peter Farelly demeure un spécialiste de la comédie... 


Et puis comment ne pas résister à cette fin à la Capra. Elle aussi, tellement mythique de l'imaginaire hollywoodien, qui nous remémore un chef-d'œuvre d'autrefois...
La vie n'est peut-être pas toujours belle pour un homme noir en 1962, mais ce god damn good Kentucky fried Chicken valait bien cette virée en voiture ! 

Liverbird
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le 2 mars 2019

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