Avec son affiliation non dissimulée à Blue Ruin, précédent film de Jeremy Saulnier, Green Room suscitait autant d'attentes que l'idée d'un diptyque pouvait en refroidir certaines. Encore une fois, le jeune réalisateur, apprécié des festivaliers indépendants américains, s'embarquait dans une histoire et un genre sordide, mais avec en tête l'idée de ne pas s'enfermer dans ce carcan.
Blue Ruin tournait le dos à son potentiel tragique et sombre pour lorgner vers la comédie absurde, avec l'anti-héros gaffeur et maladroit par excellence. Une autre direction, louable et intéressante, mais décevante dès lors qu'on entrapercevait la noirceur abyssale qu'aurait pu revêtir le long-métrage (grâce à la bande annonce par exemple, merci le faux espoir).
Green Room, lui, s'apparente au survival dans toute sa splendeur, dont ses codes les plus classiques justifient mon adoration pour ce genre parfois brutal, viscéral, et toujours synonyme de tension. Plus que pour le film de vengeance, savoir que Saulnier pouvait détourner ces spécificités me laissait perplexe, surtout au vu de son histoire, transpirant la brutalité.
Et si la boucherie attendue n'a finalement pas eu lieue, le thriller proposé, lui, a tenu toutes ses promesses.


Propre au survival, le concept de Green Room tient sur un mouchoir de poche (à côté de Fleischwolf (cherche pas à comprendre si t'as pas vu le film)), y a des punks, assez punk pour scander "Nazi Punks, Fuck Off !!" à une trentaine de néo-nazis venu s'amuser entre un shoot d'héroïne et une séance de boxe sur un noir (également considéré comme une activité amusante chez eux...), mais pas assez pour être honnête lorsqu'un punk à la crête gélifiée au sperme leur demande quel groupe emmèneraient-ils sur une île déserte. (mettre un point ici n'a aucun sens, j'ai même pas fini ma phrase, mais je t'imagine en apnée depuis trop longtemps donc c'est mieux d'en mettre un)
Ce groupe donc, tellement connu que même les organisateurs de leurs concerts sont pas foutus de bien en orthographier le nom (et de bien le prononcer par transitivité), va être contraint, pour continuer à manger, d'aller jouer chez des teutons, avant d'être témoin d'un meurtre commis par cette communauté (et c'est sur une nazie en plus... Si ils se flinguent même entre eux maintenant...).
L'une des forces de Green Room, et certains pourraient parler de faiblesse, c'est de se servir de son postulat comme argument purement narratif et non pour un quelconque portrait sur des personnes quand même très méchantes. L'intrigue est constamment ancrée dans l'instant présent, comme un live qui partirait en live ("La musique, c'est une expérience. C'est du temps, de l'agressivité. Et ça se partage en concert"), et se vit à travers les yeux des membres du groupe, aussi paumés que le spectateur. L'écriture est à l'économie (une qualité dans un survival), et la caractérisation des personnages, aussi simple qu'efficace (un personnage = une spécificité), traduit une complémentarité exemplaire, écrasée peu à peu par un individualisme grandissant face à la dégradation de la situation.


Troublant dans ce qu'il révèle de la nature humaine, Green Room s'amuse à brouiller la frontière entre le bien et le mal (et ce dans les deux camps) alors que la violence s'abat sur les innocents punks tout mignons, contraints de répliquer de la même manière que les néo-nazis veulent mettre fin au problème.
Aussi tendu qu'absurde, la construction du film en aller-retour dans la green room incarne cette notion de checkpoint, de centre de communication puis d'évolution pour les personnages et cœur du propos cinglant du film.


Principalement situé dans cette pièce construite sur mesure (comme le reste du bar d'ailleurs), le suspense haletant découle des qualités et choix atmosphériques du long-métrage. Jouant sur la perception des proportions du lieu, tantôt dans sa petitesse et son caractère oppressant, tantôt dans sa grandeur et son caractère labyrinthique (avec la grande question : Où se cache les ennemis?), Green Room prétend jouer sur de nombreux tableaux avec son espace très confiné afin de mieux saisir le spectateur par le cou et l'étouffer par son ambiance poisseuse et anxiogène (bien connue du réalisateur au vu de son passif dans le milieu (des punks, pas des nazis hein)).


Lorgnant plus du côté du thriller psychologique que du survival, la violence physique n'est finalement pas l'attraction principale de ce jeu du chat et de la souris. Présente surtout par petites touches, comme un film de Refn, le calme et l'angoisse du silence constitue la sève majoritaire du long-métrage, dont la réussite du résultat est à imputer au mixage sonore clair et précis, consolidant le caractère barbare et bruyant des soubresauts de violences.


Pourtant, comme si Saulnier n’assumait pas d'avoir mis les pieds dans le survival, une tendance à la temporisation ressort à la fin de Green Room, comme une impression d'avoir assister à de longue préliminaire, désamorçant automatiquement et volontairement les attentes du spectateur désireux de voir du nazi se faire démonter la poire. Le suspense ne faiblit jamais, et le film sait amuser le spectateur, notamment par ce dernier plan et cette dernière réplique méchamment grinçante, révélatrice du jeu de faux semblants auquel s'adonne le film (aussi esthétiquement que scénaristiquement), mais la jouissance, la folie, la mise à l'épreuve du corps et de l'esprit, n'arrivent jamais à la même hauteur des classiques du survival.

-Icarus-

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