Green Snake
7.4
Green Snake

Film de Tsui Hark (1993)

Pour te plonger dans l'ambiance.


Green Snake (青蛇) tenait beaucoup à cœur Tsui Hark. Pour cause c'est une des deux grandes légendes traditionnelles Chinoises qu'il rêvait d'adapter, La légende du serpent blanc (白蛇传), originellement avec Gong Li et Anita Mui dans le rôle des deux serpents, l'autre étant son projet maudit de fresque des Pérégrinations vers l'ouest (西游记).


Cependant il faut le dire tout de suite Green Snake n'est pas classable. Film spirituel, Romance, Drame en costume, Fantasy, Arts Martiaux, Comédie burlesque, Comédie musicale, Horreur. Ce film est tout cela à la fois et en même temps rien de tout cela, il crée son propre genre.


Bien sûr je pourrais te mentir et te dire qu'il s'agit d'un film objectivement parfait mais ce serait être de forte mauvaise foi. Il s'agit d'un trip unique et très particulier, sans limites par certains aspects. Parfois assez kitch, le film contient en plus certaines scènes aux CGI... douteux (même Cinefex Workshop ne faisait pas de miracle pour un film Hong-Kongais au budget limité). Il désarçonne tout le monde à commencer par moi au premier visionnage. Il divise même au sein des défenseurs et fans de Tsui Hark. Certains le considérant comme un de ses plus grand chef d'oeuvre, d'autres comme un désastre. D'ailleurs si tu commences avec Tsui Hark il est plus judicieux d'y aller en douceur avec un The Lovers ou Il était une fois en Chine plutôt que de faire directement le grand plongeon.


Cela dit comme tu dois t'en douter si tu as jeté un coup d’œil à ma note avant de me lire, je suis de ceux qui considèrent Green Snake comme un des chefs-d’œuvre du barbichu. Ce n'était pourtant pas gagné. Même si ce n'était pas mon premier Tsui Hark, mon premier contact avec Green Snake fut par le biais d'une copie de qualité très médiocre. Pourtant, malgré cela, ainsi que ses aspects déconcertants je n'ai pu m'empêcher de visionner et revisionner ce film. Ayant eu en plus la chance de le voir deux fois d'affilée au festival des trois continents, trop heureux que ce film soit projeté au cinéma dans une copie magnifique. Ainsi plus je visionne Green Snake plus je suis happé, comme ensorcelé par les aventures de ces deux démones, éprouvant une irrésistible attirance pour l'histoire qui se déroule devant mes yeux. Je l'avoue, je suis incapable de parler rationnellement de ce film.


Il y a les charmes de Joey Wong et Maggie Cheung, aussi séduisantes qu'excellentes dans leurs rôles. Deux personnages féminins comme Tsui Hark sait si bien les porter à l'écran. Fortes, à la féminité très marqué, mais aussi très complexes et ambigües. Elles sont le point central de cette histoire d'amour et ces scènes de séductions parfois à la limite de l'érotisme, face auxquelles il m'est absolument impossible de rester insensible (et il est pourtant bien rare qu'une romance me fasse un tel effet). Après tout n'est-ce pas la plus importante de toutes les morales portés par ce film ? Même le plus puissant des moines bouddhistes ne peut résister à Maggie Cheung. Tout cela porté par cette mise en scène, certes faite à base de bouts de ficelles, mais renforçant le charme de ce film. Elle lui insuffle une ambiance unique à mi-chemin entre le rêve candide et le cauchemar amer, avec notamment ces nombreuses scènes faites de drapés et la place importante de l'eau, marquant comme souvent le romantisme et la séduction chez Tsui Hark depuis Zu les guerriers de la montagne magique.


« Le paradis de Bouddha n'a pas d'oreilles !
Le vrai bonheur est aveugle !
Le grand Nirvana est sourd !
La terre paisible n'a pas de cœur !»


Ce film, à l'image de nombre de films de Tsui Hark, est aussi particulièrement iconoclaste. Ici, par la figure de Fa-Hai. Cette figure, très bien incarnée par Chiu Man-Cheuk, de moine beau, jeune, surpuissant et véritable compas moral et spirituel, en apparence, va voir tout le long du film sa vision du monde simple, immuable et profondément manichéenne remise en cause. Tsui Hark prenant un malin plaisir à le mettre sur un piédestal pour mieux l'y briser. Notamment en montrant, par le biais métaphorique d'une très belle scène de séduction, que malgré sa puissance et son dogme il reste un humain comme les autres. Chose inacceptable pour le moine devenant alors une allégorie cruelle mais forte des dangers du dogmatisme, voire du fanatisme, notamment lors de l'intense et tragique confrontation finale.


Cependant Green Snake est loin d'être un film manichéen dans son propos. Tsui Hark prend un point de vue bicéphale (schizophrène diront peut-être ses détracteurs) et n'hésite pas à nous mettre aussi bien du côté du moine et de nous faire ressentir ses questionnements spirituels, que du côté des deux démones et leurs envies d'explorer des sentiments humains idéalisés. Et entre les deux se trouve une humanité souvent peu reluisante. Chacun des points de vue étant très premier degré, sans cynisme (comme souvent chez Tsui Hark). Chose ici à mon avis bienvenue mais qui peut paraître étrange aujourd'hui, étant donné l'ère du temps dans lequel nous baignons, avec de grosses productions Etats-Uniennes souvent plus promptes à ce cynisme un peu facile, qu'à réellement croire en l'histoire racontée car cela comporte toujours une part de risque.


Au delà de tout cela, ce film est à prendre comme un conte sur les sentiments humains. Tsui Hark ne s'y contente pas d'y briser la figure d'autorité morale, il montre aussi une recherche complexe d'un juste équilibre vers une sorte « d'élévation sentimentale », faite de compromis, mais parfois décevante car semblant illusoire, entre les bas instincts de l'humanité peu reluisante, incarné aussi dans une bonne partie du film par le serpent vert, incapable de comprendre les évolutions et l'apprentissage sentimental de sa sœur, au point d'en être jalouse, et le dogmatisme spirituel malsain et dangereux du moine.


Cela dit le film ne serait que l'ombre de ce qu'il est sans James Wong et la bande son exceptionnelle qu'il compose, mettant à l'honneur les instruments traditionnels Chinois, comme à son habitude depuis qu'il travaille avec Tsui Hark depuis Peking Opera Blues. Il offre aussi musicalement, lors d'une des plus belles scènes du film, ce qui est à ma connaissance le moment le plus Bollywood de l'histoire du cinéma Hong-Kongais (Jette donc un coup d’œil à ces compositions et ose me dire honnêtement que cela ne te donne pas envie de découvrir ou redécouvrir ce film).


Bref en un mot comme en cent regarde ce film il est beau et virtuose, c'est l’œuvre d'un réalisateur en pleine possession de ses moyens et au sommet de sa première gloire. C'est une anomalie poétique, même au sein de la filmographie d'un réalisateur aussi fou que Tsui Hark.


Et puis franchement quoi de plus beau que Maggie Cheung versant une larme ?

Noe_G

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6

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