Gribouille
6.5
Gribouille

Film de Marc Allégret (1937)

1937, ça fait loin. Michèle Morgan, un peu moins déjà. Elle avait alors dix-sept ans – un de moins que sur le Quai des Brumes qui lancera une carrière de soixante ans. Ce lien est déjà surnaturel entre nous & Gribouille, tenu par Raimu, cet homme ”grand, gros et l’air bonhomme”, comme il le dit lui-même, né en 1883 : ce sont trois siècles qui se superposent & qui nous contemplent.


On se morigènerait à trouver cela si étonnant si l’on n’y trouvait pas également matière au travers des dialogues. Le florissant cinéma d’avant-guerre convoyait un langage surtout parisien & souvent teinté d’argot qui s’est prêté pendant une décennie à l’oralité artistique (entre le parlant & la guerre), ce qu’on découvre ici comme au détour d’une découverte trop humble, d’une œuvre semblant destinée à recevoir l’étonnement & la reconnaissance avant de retomber aussi vite dans l’oubli.


Le vocabulaire châtié se mêle en cour de justice à des sous-entendus doublement explicites – par leur contenu & leur clarté – au-dessus desquels le noir & blanc tour à tour sous-exposé puis surexposé, presque surnaturel, semble un effet spécial de mauvais goût comme il est tellement décalé avec le discours. Les gags sont discrets mais le verbe est soutenu, & le discours d’avant-garde est si suranné qu’on a moyen de le trouver brillant pour sa manière de voir juste un quart de siècle dans le futur, comme si l’œuvre pouvait servir à la mesure précise de l’attardation subie en France à cause de la guerre – ça doit être mon état d’esprit du moment car j’ai tenu le même discours pour L’Opéra de Quat’sous de Pabst, vu deux jours auparavant, mais le lien y est bien.


Sans doute Gribouille est-il trop humblement brillant, trop indécis quant à adopter des chapitres de longue haleine (comme le tribunal) ou des scénettes de famille. On ne s’y retrouve pas car Raimu & Morgan préfigurent un des premiers chocs générationnels du cinéma dont l’alchimie ait fonctionné à merveille. Il nous reste l’attendrissement de voir qu’on ne savait pas en tirer tout le potentiel, & la perplexité rapport à la paternité de cette comédie sans quiproquos ni outrance : proto-cinéma français ou branche stylistique éteinte ?


Quantième Art

EowynCwper
5
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le 13 janv. 2020

Critique lue 367 fois

Eowyn Cwper

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