Tout animal sauvage est potentiellement dangereux de part son caractère imprévisible et la meilleure façon de protéger leur environnement serait bien de ne pas y mettre les pieds. Et Treadwell de le dire aussi. Herzog terminera d’ailleurs son documentaire en nous rappelant bien le caractère implacable de la nature et son indifférence. Le cinéaste ne traitera d'ailleurs ni vraiment de cette nature ni des us et coutumes des ours mais d'un personnage ayant franchi la ligne, sans vraie connaissance de ceux pour qui il voue une grande passion depuis son plus jeune âge. Même si certains ont réussi à créer des liens avec des animaux sauvages et du vivre ensemble, Treadwell lui, ne voit que ce qu'il veut voir. Et Herzog a vu dans Treadwell un personnage en marge sociale comme il les affectionne, une sorte de pendant de ses héros filmiques. Un affabulateur, un paranoïaque peut-être, naïf quant à sa condition, à se battre contre l’ordre des choses.
A l’aide de centaines d’images, l’autoportrait de Treadwell, se mêle aux interviews et au recul d’Herzog pour tenter de définir le personnage, La destinée écourtée d’un homme en lutte contre lui-même, mal à l’aise avec la société, ne cherchant finalement qu’à survivre à sa déprime.
On reviendra sur ses rêves de gloire avortés, sa grande fierté d’intervenir auprès d’écoliers, la forte sympathie ou l’extrême virulence à son égard. Ceux qui l’ont connu sont d’ailleurs tous très attachés à ce personnage loufoque alors que d'autres, n’ont vu en lui qu’un simple malade mental qui a bien mérité ce qui lui est arrivé. Herzog ne cherchera pas à poser un diagnostic et nous laisse nous faire notre propre sentiment sur cet homme hors les clous. Mais comme souvent chez le cinéaste, on dénote des travers appuyés par son montage. Insistant lourdement sur la mort à venir par des effets de dialogues où l'ironie et la redondance peut déranger, par l’intervention du médecin légiste et un surjeu déplacé ou lors de l’interview d’une amie à qui il intimera de ne jamais écouter l’enregistrement de l’attaque, lui-même semblant grandement affecté. Une scène à la limite de la faute de goût, dont on se serait bien passer. Et puis l’enthousiasme d’Herzog quant aux images de Treadwell, car si celles-ci sont surtout impressionnantes par les panoramas mais surtout par les prises sur le vif avec une belle et lente bagarre dansée à apprécier les statures imposantes de deux ours, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.


Mais finalement là n’est pas le propos, le portrait de Treadwell en lui-même vaut le visionnage. Un personnage qui décide de vivre son rêve et n'en démord pas, de refuser une vie qu'il abhorre et de s'éloigner de la civilisation à l'instar du héros de Into the Wild, pour une destinée tout aussi dramatique. Et on éprouve de l'empathie pour cette quête de liberté. On peut y retrouver le réactions viscérales du personnage de Tyler dans un homme parmi les loups, et un désir de balayer les scories de toute une vie par le refus tout net de s'y plier.
Alors si les parcs nationaux ne sont pas assez vigilants sur la présence d’intrus, Treadwell ira lui-même surveiller son troupeau en Alaska chaque année, se cachant des autorités et des visiteurs, mais du fait même de son rejet de la société, il imposera sa présence à des ours qui n’en demandaient pas tant, cherchant dans ces contacts, une raison à son existence.
Le samouraï des temps modernes ou encore le gentil guerrier comme il se nomme lui-même, bandana aux motifs variés, dont on aura peut-être du mal à saisir les variations se croyant accepté, alors qu’il n’est que toléré, mais investi dans sa mission de sauvegarde par la création de l’association Grizzly People et personnage franchement attachant par son naturel, sa spontanéité, son exubérance, et son enthousiasme. On ne peut que regretter qu’il ne se soit pas transformé en ours comme il en rêvait.

On remarquera alors assez rapidement un sens des réalités biaisées, à se croire empli d’une mission pourtant méritoire, à se mettre en scène pour nous brosser le personnage de man vs wild, ou à l'irruption de crises face caméra semblant un tantinet exagérées, Treadwell n’hésitant d’ailleurs pas à refaire les scènes à plusieurs reprises.
Il filme sans cesse, batifole dans les près, heureux à nous raconter sa vie. On y verra pourtant l’isolement et la précarité.
Personnage inquiétant dans son approche aussi, partant du principe que d'aimer les ours, leur parler, et leur attribuer des sentiments qu'ils n'ont pas, lui assure sa place. Si l’on fait abstraction de la dangerosité constante à laquelle Treadwell se soumet, la plupart des plans du documentaire, sur la base de ses propres scènes; le montre toujours proche, s’extasiant à la moindre rencontre, on s’arrête sur une crotte qui transporte littéralement notre homme, on s’inquiète d’un bourdon, mort ou simplement endormi, on bivouaque proche d’une famille de renards pour les avoir à l’œil et qui le suivront dans ses déplacements. Et l'homme continue son exploration de ce fameux labyrinthe des ours, ses recherches et ses études, dont on ne saura malheureusement pas grand-chose.

Alors oui, un Grizzly qui ne ressemble en rien à notre Balou préféré, qui ne voit les hommes qu’à plus de 100m, et impressionne déjà par son regard et sa taille, n’invite pas franchement au contact rapproché. Et de voir Treadwell qui traîne alentour, tendre la main vers un mâle cherchant sa nourriture dans la rivière, ou la proximité avec deux oursons dont on peut prévoir que la mère n’est pas bien loin, donne quelques frissons, et on se demande vraiment comment il a pu survivre aussi longtemps.


Bien heureux ceux qui s’enroulent dans les fourrures de leurs protégés.

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le 15 oct. 2020

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