Côté outre atlantique, j'aime tout particulièrement le cinéma des seventies. On est loin du manichéisme des années 50, on a digéré l'enthousiasme des 60's, malgré un dessert vomitif. L'audace est moins formelle —car plus mature, mais se devine au travers d'un traitement carré, tendu, ciselé, cru, parfois quasi réaliste, de thèmes désenchantés, cyniques, remettant en question nombres de visions dépassées et de valeurs fanées.

Le cinéma des seventies c'est propre et crade, c'est clinique et groovy.

Premier Peckinpah.

Alors il est toujours aussi anguleux, aussi virtuose dans son découpage qu'un maître sushi ?

Ou comment illustrer la rengaine assassine assourdissante de la machine institutionnelle sciant l'existence de sa cacophonie mécanique, temporalisée, abrutissante ; celle qui asservie l'homme physiquement cloisonné, celle qui assoie sa domination sur l’esprit, à l’usure.

Ça pourrait ressembler au quotidien de l‘homme qu’on dit libre, aussi, cette introduction au montage saisissant.

Premier Peckinpah, donc, qui n’aura de cesse de prouver sa constance dans la maîtrise de l’action et de son découpage, le dosage du rythme et la pertinence de ses plans, sachant se poser, le temps d’un regard porté.

En cela The Getaway se montre bien ancré dans son époque : nerveux, racé, ciselé, funky (merci Quincy) mais doux aussi, presque tendre parfois.

Et McQueen qui vient vous surprendre par tant de patience, lui qui nous avait habitué à ses airs de beau père pas commode. Le voilà plus pondéré que taciturne, plus aimant qu’inaccessible. Il passe l’éponge même. Faut croire que comme il le dit « la prison ça vous change un homme ». Bon, après faut pas le faire chier non plus, c’est McQueen.

Le couple, aussi, ça vous change un homme. Ali McGraw, en plus. Comment voulez vous ne pas avoir envie de lui pardonner ses conneries quand elles sont justifiées par un dévouement et une patience toute féminine, infinie, parfois impénétrable (enfin, presque en l’occurrence), mais constante et finalement inébranlable face aux évènements.

Oui parce qu’en fait The Getaway c’est quoi à part une vague histoire de braquage foireux, de trahison et de rancune crétine ? C’est quoi si ce n’est le portrait d’un couple qui se retrouve sans ne s’être jamais vraiment séparé, qui réapprend à vivre avec l’autre, à faire face à la déception, au mensonge, aux emmerdes, au temps qui passe, aux doutes, à la colère ?

The Getaway c’est l’histoire mouvementée d’un joli couple dont la complicité et la tendresse sont palpables à l'écran —et pour cause, me souffle @Torpenn (dans les bronches), faisant fi des péripéties, paraboles de la vie à deux, qui apprend à se pardonner et à aller de l’avant. Parce que sinon ça aurait été du gâchis ; et ça Peckinpah, mais surtout ses acteurs, parviennent à le faire ressentir avec une finesse insoupçonnée.

Et pour vous convaincre, une scène de décharge. Rien que ça.

J'ai par contre été moins convaincu par certaines lacunes dans les motivations des antagonistes. C'est un peu le minimum syndical face à la justesse d'écriture du couple en tête d'affiche, voire crétin en ce qui concerne le personnage de Rudy —quand bien même le sort qu'il réserve au couple de vétos recèle une part de dérision délectable ; mais Lettieri souffre en ce qui me concerne d'un délit de sale gueule assez difficile à surmonter.

Un film sensible et nerveux aux scènes d’action millimétrées. Un certain regard, un peu de dérision, ou d’ironie, les seventies groovy, un peu road movie :

Mon premier Peckinpah.

Créée

le 10 nov. 2013

Modifiée

le 10 nov. 2013

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