Scénarisé par l’incontournable Charles Spaak, Gueule d’Amour est la première collaboration entre Jean Gabin et le réalisateur Jean Grémillon.


La même année il était Pépé le Moko, le bandit élégant qui faisait chavirer les cœurs de la casbah d’Alger. Au début de ce film il semble tout droit sorti de La Bandera, dans la peau de Lucien Bourrache, dit « Gueule d’Amour », fringant, impeccable dans son costume de militaire et bel homme, il parade fièrement semant l’émoi dans le cœur des femmes. Jusqu’au jour où il croise Madeleine, séductrice sulfureuse, dès lors il n’aura de cesse de perdre de sa superbe.


Jamais jusqu’alors, et probablement plus jamais, on ne retrouvera un Jean Gabin campant un personnage aussi fragile et friable. Si l’on excepte ses rôles dans La Bête Humaine de Renoir et Le Jour se Lève de Carné, dans des registres plus axés sur la folie. Il en devient émouvant dans la détresse qu’il parvient à imprimer à l’écran. Voir Gabin en larmes est une denrée extrêmement rare... Même son aspect physique général s’en ressent, on le voit vieillir incroyablement l’espace de la durée du film. Sa déchéance est magnifiquement portée à l’écran par son radical changement de tenue vestimentaire, passant de son uniforme clair rutilant de la cavalerie à un costume au complet sombre.


En orfèvre du mélodrame singulier, la grande dramaturgie qui s’invite chez les petites gens, Grémillon parvient de par sa maestria et sons sens quasi chirurgicale de la déstructuration mentale à détourner l’image grandiloquente et assurée du Gabin de chez Duvivier, pour en faire un personnage fragile et sensible sous l’emprise d’une femme-fatale, admirablement interprétée par une Mireille Balin électrisante d’érotisme sensuel.


A la fin ce film teinté de fatalisme,


qui débouchera sur une conclusion dramatique, il prendra le train pour s’en aller rejoindre le Quai des Brumes,


il pourra redevenir le Gabin que l’on sait.


Comme toujours chez Grémillon on retrouve cette propension à filmer les travailleurs à l’ouvrage, toujours filmés avec bienveillance, son origine prolétarienne expliquant sans doute cette façon de prendre son temps pour filmer les gens dans toute leur singularité et avec un naturalisme modeste qui confère à ses œuvres un sentiment de réalisme ancré dans les différentes époques qu’il a filmé.

Créée

le 14 mars 2019

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