Jusqu’où peut-on pousser une femme ?

Sono Sion est le cinéaste du point limite. Point limite de l’être humain, mais aussi du cinéma. Il ne cesse de tirer ses personnages, ses histoires et son style vers la rupture. Jusqu’où peut-on pousser un homme ?, c’était l'accroche de Cold Fish, son drame psychologique ultra gore. C’est à nouveau le thème principal de Guilty of Romance, appliqué à deux personnages féminins au bord de l’effondrement. Moins fou que son chef-d’œuvre Love Exposure et moins éprouvant que Cold Fish, ce nouvel opus n’en demeure pas moins extrême et indisposera plus d’un spectateur. A l’instar d’un Quentin Tarantino ou d'un Takeshi Miike, Sion mêle virtuosité et philosophie avec une vraie gourmandise de cinéma d’exploitation. A chacun d’apprécier cette insistance, en la jugeant complaisante ou viscérale. Mais, contrairement à des petits rigolos tels que Lars Von Trier ou Michael Haneke, Sono Sion ne cherche jamais à habiller ses œuvres sous les oripeaux de l’intellectualisme ou de « l’Art ». Ses films demeurent ambitieux, caviardés de tours de force et de performances d’acteurs mémorables, mais leur aspect iconoclaste et leur lyrisme brutal finissent par tout emporter dans un premier degré qui retourne, parfois littéralement, l’estomac.


Guilty of Romance débute comme un thriller policier et s’échappe bien vite vers la chronique sociale chère à l'auteur. L’aspect criminel n’est qu’un à-côté, métaphore et aboutissement du chaos mental des protagonistes. C’est une nouvelle fois la psyché du Japon qui est disséquée ; avec en ligne de mire la frustration féminine, moteur d’une descente aux enfers, entre hystérie et confessions murmurées. Même si, comme mentionné précédemment, le réalisateur bouscule les conventions et ne livre jamais frontalement une étude psychologique. Il préfère filmer amoureusement, et de préférence nue, son actrice fétiche, Megumi Kagurazaka, et enchaîner les séquences absurdes et terrifiantes. Inutile de chercher ici la tendresse qui pointait dans Love Exposure, l’œuvre déploie un nihilisme proche de celui, abyssal, de Cold Fish. L’une des forces de Sono Sion est probablement de faire tenir debouts, cahin-caha, des récits précipités d’une scène choc à l’autre, projetant par exemple un monologue déchirant vers l’humour noir le plus monstrueux.


Le malaise est omniprésent et le cinéaste le cultive avec une application qui repousse les limites du spectateur. Et même si Guilty of Romance est plus court que d’habitude, un peu moins de deux heures dans sa version internationale, la concentration du récit sur un petit nombre de personnages principaux semble accroître sa durée. Ce n’est pas du divertissement pour les yeux et les cœurs fragiles, mais sa profondeur, certes balayée par les vagues de sexe et de violence, mérite l’expérience. Le cinéma de Sono Sion est l’un des plus originaux et percutants de notre époque. Malgré ses défauts et ses excès, ou plutôt grâce en partie à eux, le travail du créateur japonais passionne, secoue et enthousiasme. Guilty of Romance n’est probablement pas le meilleur point de départ pour plonger dans sa filmographie, mais les distributeurs français ne laissent pas le choix au public.
Ed-Wood
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le 2 oct. 2012

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