HHhH : récit d'un homme peu ordinaire

Proposer une oeuvre originale concernant la Seconde guerre mondiale n’est pas chose facile, tant cette période historique a été arpentée en long et en large par le cinéma. C’est toutefois la tâche à laquelle s’est attelé Cédric Jimenez avec son film HHhH, adapté du roman du même nom de Laurent Binet, retraçant le destin de Reinhard Heydrich, instigateur de la « Solution Finale ».


Militaire déchu suite à un passage en cours martiale du à des pratiques sexuelles décriées, Reinhard Heydrich s’est tourné vers Heinrich Himmler, dirigeant des troupes SS en quête de leaders pour son armée. HHhH narre l’ascension d’un homme vers les plus hautes strates du pouvoir nazi, soutenu par une femme aux ambitions assumées. L’œuvre nous permet en effet de découvrir le début de l’histoire d’amour liant Lina von Osten (Rosamund Pike) et Heydrich, relation basée sur un mélange d’attirance et de désirs égoïstes. Pour cause, c’est bien la soif de renommée et de richesse de cette femme qui portera son mari vers le succès et enfantera un monstre accompli, auparavant entravé par son manque de discipline et de méthode. Une intrigue amoureuse qui, et il est important de le souligner, sert le propos central du film en expliquant comment un homme radié de l’armée a pu devenir l’un des plus influents du parti nazi, soutenu par l’armée - contestée et largement contestable - de Himmler. Notons que Jason Clarke offre ici une prestation convaincante dans ce rôle titre, lui dont le physique correspond tout à fait à l’emploi. Son visage sculptural et froid sert totalement son jeu, renforçant l’impression menaçante se dégageant du personnage. Un homme méthodique et cruel dont le destin va rencontrer le chemin de la résistance tchèque placée sous tutelle britannique, lui qui est devenu Protecteur de la Bohème-Moravie à Prague.


Une rencontre qui scinde le film en deux blocs distincts réunis le jour de l’attentat porté à l'encontre de Heydrich. Un pan intéressant de l’histoire est ici abordé avec précision, creusant l’organisation de la résistance interne du pays et sa hiérarchisation. L’évocation des Trois Rois et l’exploration des différentes strates de la résistance offrent un riche éclaircissement de ce chapitre peu médiatisé de la Seconde Guerre. C’est en outre un véritable plaisir que de retrouver l’acteur Jack O’Connell découvert dans Skins qui teinte encore une fois son jeu d’impertinence tout en l’enrichissant avec une portée dramatique qui sonne juste. L’interprète est ici entouré d’un casting de jeunes acteurs compétents à la tête desquels il faut relever Jack Reynor et Mia Wasikowska qui se montrent à la hauteur du job. En explorant les coulisses de la résistance, l’œuvre n’échappe pas à quelques séquences clichées, ainsi qu’à une tendance exagérée au manichéisme. Le caractère unilatéral de Heydrich est regrettable, lui que l'on aurait aimé connaître avec davantage de nuances.


Assez pertinent d’un point de vue historique, HHhH pêche sur le plan de la représentation. L’abondance stylistique dont le film fait preuve vient en effet souvent alourdir son propos. La superposition des plans traduisant une recherche artistique ne fait que desservir la portée dramatique des actions représentées, à l’image des séquences relatant les actions de « purification » du parti nazi orchestrées par Himmler et Heydrich. Une surabondance d’effets à laquelle vient s’ajouter un système d’accélérations et de ralentis qui coupe le spectateur de l’immersion dans laquelle il était plongé, sans pour autant rien ajouter à l’œuvre. Enfin, la bande originale est également représentative d’une gestion inégale, souvent marquée par son excessivité, appuyant lourdement les faits présentés au public. C’est dans sa maîtrise et sa parcimonie que la bande-son composée par Guillaume Roussel atteint véritablement son objectif qu’est celui d’accompagner l’image et d’en livrer tout son sens, suscitant ainsi l’émotion du spectateur. Enfin, du point de vue de « l’éthique de l’image », HHhH s’inscrit dans la veine de nombre de ses prédécesseurs en n’évitant pas une théâtralisation de la violence. Exit la viscéralité et la puissance dévastatrice d’un Requiem pour un massacre auquel on est pourtant obligé de penser devant cette représentation des exactions des Einsatzgruppen en Europe de l’Est. Des reconstitutions qui nous épargnent toutefois un excès de dramatisation, bien que jouant avec des systèmes régulièrement utilisées tels que le suspense, l’accumulation ou encore l’utilisation excessive de compositions musicales.


Malgré sa tendance à magnifier son propos à travers des procédés stylistiques visuels et musicaux, HHhH se révèle être un film convaincant, porté par un casting compétent. Un casting caractérisé par son hétérogénéité qui porte souvent préjudice à l’œuvre, cumulant les accents d'acteurs provenant d’horizons multiples (France, Grande-Bretagne, États-Unis…). Hormis certains égarements visant à dramatiser davantage une intrigue déjà lourde de sens, ce dernier long-métrage de Cédric Jimenez est louable et mérite d’être vu en raison du capital historique qu’il représente.


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le 8 juin 2017

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