Est-ce la faute à une adaptation trop littérale du livre ou est-ce un problème d'écriture cinématographique ? Quoi qu'il en soit ce film a un problème, un problème qui tient surtout dans sa narration. En effet il est en quelque sorte siamois : une première partie décrit le parcours de Reinhard Heydrich, le terrible chef de la SS, la seconde, l'organisation par la résistance tchèque de son assassinat en 1942.


Quelques ponts existent entre les deux récits mais au final on a le sentiment de voir deux films réunis en un seul acte final où tout le monde meurt. Le résultat de cela, c'est que les personnages sont à peine esquissés. Reinhard Heydrich tombe presque dans la caricature : violent, bestial. Son introduction, c'est un combat d'escrime où il montre sa force et une scène de sexe où il copule sauvagement avec une femme. L'homme est un impulsif. C'est avec lourdeur qu'on nous le montre. Et pourtant, le film entrecoupe tout ça de Heidrich au violon, comme Martine à la Plage. On voit le mari, l'époux, le père de famille. Et tout est froid, à l'image de celui qui était surnommé par Hitler lui-même l'homme au coeur de fer. Le type est un salop, c'est évident. Comme si les criminels le portait sur le visage, comme si le film devait se justifier de filmer l'histoire d'un des pires criminels nazis, de montrer le monstre. Sa femme, incarnée par Rosamund Pike est le seul personnage convaincant, à la fois une nazie fanatique et admirative de son mari, et en même temps effrayée par le personnage distant et froid.


Comme pour insister le réalisateur montre beaucoup d'exécutions, des vieux, des femmes, des innocents. On les sort de la maison, on les met dehors, on les tue, on brûle les villages. La méthodologie des Einsatzgruppen est montrée, méticuleusement monstrueuse et industrielle. Presque documentaire, le film parfois le tente par des sépia et des noirs et blancs comme à l'époque. Effet esthétisant mais qui n'apporte rien au film.


Les personnages des résistants sont encore plus plats : une petite histoire d'amour avec des filles de Prague pour qu'on s'y attache mais ça ne prend pas. Ils sont lisses et ne sont là que pour assassiner le monstre. Leurs motivations, leurs engagements, leurs sacrifices sont à peine évoqués. Drôle de manière de rendre hommage aux héros de la résistance tchèque. Ils sont des soldats, ils tuent, point. Ils croisent une flopée de résistants, de subalternes, de chefs mystérieux qui sont des figures historiques de la résistance tchèque mais on ne s'y attarde pas. Ca défile.


Enfin, vient le final, l'assassinat et puis la suite. Le film se réveille un peu. La fureur nazie se lâche. Elle traque les résistants. Torture d'un père devant son petit garçon, qui hurle littéralement à l'écran, dans une des rares scènes très marquante et terrifiante. Une grande fusillade aussi a lieu dans une église, donnant l'occasion d'un peu d'action. L'héroisation là encore est exagérée dans la mesure où les résistants sont des héros. Il n'y a pas besoin d'en rajouter pour s'en rendre compte. Le film vire finalement dans le manichéisme. Loin très loin de la finesse de L'Armée des Ombres. Au lieu de leur offrir une mort simple, le film temporise, un peu trop, même si la reconstitution est globablement fidèle.


Autre fait dérangeant : un film français avec des Américains qui jouent des Allemands ou des Tchèques. Comme le film se veut historique, sans l'être jamais vraiment, et bien cela pose problème puisque ça ne colle jamais au cadre. Cela contribue à la distanciation avec le film. Le film s'attarde au final tellement sur des aspects formels : photographie, ralentie, accéléré, que l'esthétique rejette au second plan la barbarie nazie, presque comme un prétexte à l'esthétique de la violence.


Le film finalement n'arrive pas à trancher. Il peut avoir de bons moments entrecoupés de mauvais. Il oscille entre deux histoires, trop de protagonistes, entre la grande et la petite histoire, presque entre le documentaire et le film car la scène de l'assassinat est méticuleusement reproduite, le contexte aussi, les personnages sont réels et pourtant.... pourtant ça sonne creux, inhabité, faute à un non choix scénaristique. Le film ne peut être le reflet exact d'un livre. Ce qui fonctionne dans une narration littéraire comme les doubles histoires est souvent, en film, sauf pour quelques réalisateurs virtuoses, pénible. Ce qui peut être fleuve et détaillé, documenté dans un livre ne peut être aussi ramassé. Il fallait faire des choix. Le seul parti pris du réalisateur, c'est l'action. Il couvre cela avec de la musique, des scènes esthétiques pas désagréable à regarder, quelques beaux plans, une scène d'introduction avec le costume nazi assez sympa mais noyé dans une maladresse générale.


Aussi laborieux à regarder qu'à prononcer, ce film. Dommage.

Tom_Ab
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le 10 juin 2017

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Tom_Ab

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