Après le succès de Des Hommes et des Dieux et le lancement de la création originale de Canal +, Borgia, la crise de foi est de bon ton sur les écrans. Chaque fois avant d'aller voir un film qui aborde en fond ou en surface la religion, on a peur de se faire méchamment chier, et il faut bien l'avouer à chaque fois ou presque on est surpris. C'est très intéressant de voir comment un réalisateur peut, dans un monde athée, parvenir à toucher un public en parlant religion. Peut être est ce justement parce qu'il sait ne pas rester dans le cloître religieux, si j'ose dire, mais bien comprendre l'influence de celle ci encore aujourd'hui. Travail difficile donc mais c'est là qu'on reconnait les vrais. Si les moines de Tibhirine avaient su être passionnants dans un style solennel, Habemus Papam joue plus la carte du détachement, voire du grotesque sans pour autant jamais être vulgaire ou irrespectueux, comme le sera peut être ( sans doute ) Borgia pour le plus grand bonheur des post-nietzschéens en mal de victime. Film très intelligent qui montre comment l'adhésion à des principes ou des croyances peut être ébranlée lorsqu'il s'agit d'impliquer sa personne et non plus se contenter d'appartenir. C'est un film tout en sensibilité qui confronte la fragilité d'un être, brillamment interprété par Michel Piccoli, et la foi de tous, soulignant avec justesse les notions de responsabilité, de limites humaines face à une croyance partagée, une communauté les dépassant largement.



Habemus Papam n'est pas loin de tout reproche non plus, quelques scènes sont clairement là pour broder, mais globalement le film fait preuve d'une légèreté qui le sied bien et qui légitime son approche quelque peu farfelue du sujet. Le film est une longue attente, pour les fidèles, pour les cardinaux, mais pour le Pape lui même qui face à un évènement d'une telle ampleur se redécouvre lui même et refais le parcours de sa vie. Une attente faite de doute, d'appréhension mais qui est l'occasion pour Melville ( le vrai nom du Pape ) de renouer avec ses anciennes passions qu'il avait finit par oublier. Moretti en ce sens voit la religion comme un refuge, et on pourrait presque dire comme un aveux de résignation, comme un choix de vie par défaut : Melville n'a pas pu entrer au conservatoire, mais il se dit encore acteur au détour d'une conversation; impossible ici de ne pas voir comment subtilement Moretti définit la fonction du Pape, acteur au service d'une cause qui le dépasse, au service d'un milliard de croyants qui oublient souvent que derrière la figure du souverain pontife il y a l'homme et son passé. Sans renier toute existence de foi, le rôle de psychanalyste interprété par Moretti lui même n'est pas innocent, et l'excellente scène où le Pape se fait psychanalyser selon les critères rigoureux énumérés par les cardinaux (!) est une pique finement placée, ravageuse de sens, débordante d'humour. Débordante d'humour comme tout le stratagème composé dans l'attente du "rétablissement" ( le faux pape ), tout comme aussi le tournoi de volley entre cardinaux sous forme de coupe des continents proposé par Brezzi ( Moretti ).



C'est son approche volontairement naïve qui fait la force du film, son relativisme envers même des évènements tel que l'élection d'un Pape. Absolument pas analytique ni théorique, Habemus Papam, remet l'homme au centre des choses, car ni sa fonction, ni son rôle, ni l'attente qu'on a de lui ne peuvent mieux le définir qu'il ne se définit lui même. Melville n'est pas le Pape, c'est un acteur, qui le temps d'une pièce, aura joué le Pape.
Heisenberg
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le 18 sept. 2011

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