Je ne suis pas un analyste de Michaël Mann et cette critique a pour intention de partager des réflexions que j’ai pu me faire au sujet de ce film.


En premier lieu, il est à signaler que Blackhat a fait l’objet de nombreuses critiques négatives sur ses éléments, au premier rang desquels se trouve le scénario. Néanmoins, celui-ci n’est pas, selon moi, le point essentiel du film. Le réalisme n’est pas le souci premier de Michaël Mann, il est évident que le F.B.I. n’enverrait jamais sur le terrain des hommes non préparés. Il n’essaie pas de créer une tension particulière. Le scénario est pour lui vecteur : il s’en sert pour conduire les personnages dans différentes situations. On constatera en effet que l’histoire suit une structure très simple qui fait passer l’action d’un point A à un point B, puis du point B au point C, etc. ; mais qu’importe : ce qui l’intéresse ce sont les rapports entre les personnages, et le plus souvent il s'agit de rapports de force. Par exemple, lorsque l’ingénieur chinois exige auprès de l’agent de la F.B.I. la libération de son ami ; lorsque l’on vient chercher Nicholas Hathaway en prison, on le voit négocier avec l’agent national pour modifier sa remise de peine ; lorsque la sœur de Chen Dawai insiste pour continuer la poursuite ; la question est de savoir qui l’emporte. Michaël Mann veut nous montrer comment les humains interagissent entre eux et comment ces humains ordinaires font face à des situations qui ne le sont pas. On se retrouve ainsi devant des scènes d’une étonnante passion, comme celle dans le restaurant. Et le réalisateur maintient cette passion par le jeu des acteurs que j’ai trouvés convaincant dans leur développement des rôles et leur interprétation.


On a pu également reprocher au film la lenteur de son rythme, mais je n’ai pas ressenti cette lenteur, justement parce que, lorsque l’on nous présente ces différents personnages, on nous laisse le loisir de reconstituer leur passé à partir des bribes laissées par les dialogues succincts. Cette liberté, ce choix font sortir de sa passivité le spectateur enclin à un autre cinéma que celui du divertissement(non pas que l' "entertainment" soit mauvais en soit, mais il ne propose pas la même expérience).


Un autre point qui est au cœur du cinéma du réalisateur, c’est l’ambiance. Et c’est là que Michaël Mann touche au but : il immerge son spectateur dans une ambiance visuelle à l’esthétique unique. Et quand je dis unique, c'est parce que son style est si particulier. Les plans des villes de nuit, bourdonnantes de néons et de lampadaires, qu’on avait pu admirer dans Collateral se retrouve ici avec la même force. Une traversée en hélicoptère, un "establishing shot" sont prétextes à nous montrer ces décors, non sans une certaine mélancolie parfois. D'autre fois, on se trouve brusquement immergé au cœur de l’action (comme dans la scène de l’assaut des forces spéciales chinoises contre l’agent libanais grâce à cette caméra tenue à la main qui suit fébrilement les personnages courant dans les ruelles d’une ville chinoise). Les personnages ont également droit au même genre de traitement avec l’usage de nombreux gros plans qui permettent de nous sentir proches de leurs préoccupations. A cette ambiance visuelle marquée, s’ajoute une ambiance sonore bien particulière constituée à la fois d’une musique feutrée - incluant des morceaux de Harry Gregson-Williams et d’Atticus Ross - et d’effets sonores multiples. C’est cette ambiance qui rend l’expérience de Blackhat si différente des autres thrillers (bien que je trouve que ce terme ne soit pas selon moi appropriée pour désigner ce film).


Alors était-ce l’intention de Michaël Mann d’écrire un scénario aussi éloigné de la réalité, de proposer un traitement si conventionnel pour en dénoncer la vacuité, ou des maladresses de sa part ? Inutile d’y songer. C’est tout l’intérêt de l’expérience : l’incertitude. Et la fin du film est à l’image du film lui-même : inattendue et imprévisible.

Créée

le 17 janv. 2016

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Quentin Pilette

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