Happy End, le vingt-quatrième film du réalisateur Michael Haneke, est sorti le 4 octobre en salles. Le pitch y est très simple : « "Tout autour le Monde et nous au milieu, aveugles." Instantané d’une famille bourgeoise européenne. » Avec ce résumé très court et vague et pourtant bien descriptif de l'histoire, il en résulte un film qui laisse le spectateur sur sa faim sur plusieurs points.


Happy End a tout d'abord une réalisation particulière : le film, majoritairement composé de plans-séquences, débute avec un long plan tiré d'un streaming en direct dans le récit, filmé par un personnage dont on apprendra l'identité et l'importance du plan plus tard dans le film. Le format portrait du téléphone est intégré directement au montage, sans que l'on cherche à le placer dans un cadre, ce qui apporte, certes, de l'originalité au film en terme de réalisation, mais perturbe sur le plan esthétique.
C'est ce manque de recherche esthétique qui sera ressenti tout au long du récit ; en plus de ces incrustations du téléphone, le cadrage n'est pas utilisé pour mettre en valeur les personnages. En effet, il coupe souvent les corps à des endroits tels que le haut de la tête, le bras, les protagonistes sont mal cadrés. Si ce manque de recherche esthétique au niveau du cadrage peut être une forme d'esthétique en soi, on peut aussi l'interpréter de cette manière ; Michael Haneke veut nous plonger dans le réalisme le plus total, presque documentaire, en nous introduisant dans une action comme si la caméra n'avait pas le temps de se positionner correctement de peur de rater des dialogues et des gestes.
Notons par ailleurs un autre aspect de Happy End : l'attente. Cette attente n'a parfois pas de but, elle est aussi là pour mettre le spectateur dans l'ambiance du film et est traduite non seulement par les longs plans-séquences évoqués précédemment – on ne relève que trois ou quatre scènes en champ-contrechamp très brèves –, mais aussi par les silences qui les accompagnent et qui occupent une grande partie du récit, sans oublier un détail important ; l'absence de musique. Mis à part un court morceau au violoncelle dans l'univers diégétique du film, Happy End est quasiment totalement silencieux. C'est dire ; même les génériques de début et de fin sont muets. On a donc affaire à un film qui veut faire faire l'expérience au spectateur de l'ennui que ressentent les personnages eux-mêmes, sans chercher à embellir l'histoire.
Qu'en est-il alors de l'histoire, justement ? L'ennui y est tout aussi présent qu'à la réalisation. Le scénario est presque vide et n'a aucun rebondissement. Le thème principal y est tout de même la mort, sous plusieurs angles ; on apprend d'abord que la mère de la jeune Ève (Fantine Harduin) a fait une overdose de médicaments. Plus tard, le personnage de Georges (Jean-Louis Trintignant) avoue vouloir mourir à tout prix, quelle qu'en soit la manière – accident de voiture, balle, overdose, noyade. Enfin, ayant gardé les restes des médicaments de sa mère, Ève tente elle aussi de se suicider par overdose. Cette thématique plutôt morbide est d'autant plus accentuée que la mort est parfois montrée de manière dérangeante, comme lorsqu'Ève filme sa propre mère morte, par vengeance, au lieu d'appeler directement les secours. À part cela, Happy End ne suscite pas vraiment d'émotions et l'absence de twist ne fait qu'accentuer l'ennui du spectateur.
Par ailleurs, le jeu d'acteur est parfois faux, et rend l'immersion du public dans le film encore un peu plus difficile. On le remarque notamment chez le personnage d'Anaïs (Laura Verlinden) et pour certaines répliques de Fantine Harduin. Ici encore, Michael Haneke a peut-être cherché à donner plus de réalisme à son film, en rappelant au spectateur qu'il regarde une œuvre de fiction – et donc quelque chose de faux –, ou bien à déshumaniser les personnages concernés ; c'est compréhensible pour le personnage d'Ève, étant donné son caractère, mais peu convaincant pour Laura Verlinden, dont le personnage du cocu est totalement inoffensif et inspire surtout de la peine.
Enfin, plusieurs éléments n'ont aucune justification dans le film et l'on ne comprend pas vraiment d'où ils viennent : que ce soit la question de l'origine de la relation entre Thomas (Mathieu Kassovitz) et sa maîtresse ou bien tous les problèmes que rencontre Pierre (Franz Rogowski) tout au long du film, dont on n'a aucune explication, tous ces questionnements sans réponse peuvent certes laisser libre cours à l'imagination du public, mais trop de liberté finit par perdre le spectateur, qui se détache une fois de plus du film.
Happy End n'est donc pas une réussite triomphante. Au contraire, malgré une volonté de décalage de la part de Michael Haneke, le film semble incomplet et maladroit, et laisse dans la bouche du spectateur une certaine fadeur qui persiste même après le visionnage.
dramathilde
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le 11 oct. 2017

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