Hanshiro Tsugumo, protagoniste d’Harakiri de Masaki Kobayashi, représente la colère à bien des égards : celle qui est aussi noble que destructrice. Tsugumo est un rônin et en temps de de paix, il est difficile pour lui de gagner sa vie. Il ne peut donc pas subvenir à ses besoins ni à ceux de sa famille. Sa seule issue est donc de se donner la mort de manière digne grâce aux us et coutumes des samouraïs. Harakiri débute donc avec ce postulat : un homme fatigué, au regard habité et à l’allure presque négligée qui vient faire pénitence et demander la mort. Sauf que derrière cette demande solennelle se dissimule une colère qui est l’une des principales conséquences d’une tragédie qui s’est dessinée bien en amont. Masaki Kobayashi réussit avec brio là où peu de cinéastes réussissent : faire que le fond et la forme ne fassent qu’un.


Une colère politique


Chaque rouage du film, que cela soit ces longues plages de dialogues expliquant les velléités de chacun ou même ces multiples flashbacks évoquant le passé de Tsugumo, permettent petit à petit au film de sacraliser la colère et de lui donner un visage. Une articulation faite de flashbacks avec une mise en parallèle entre la vengeance qui s’abat et la description du passé qu’a reprise avec son style post moderne, Quentin Tarantino pour Kill Bill et son légendaire personnage : Beatrix Kiddo. Cette colère est tapie dans l’ombre : elle se regarde, elle s’écoute et fait voler en éclat tous les fondamentaux d’une société qui se ment à elle-même. Comme dans Rebellion du même réalisateur, le film construit des plans rigides et méticuleux pour clarifier et désunir à la fois cette vision du grand féodalisme face à la petitesse de l’humain. Pendant que les sabres restent au sol pour laisser parler les regrets et les revendications, Harakiri voit Tsugumo et le clan des Li se battre sur le terrain des idées. Chaque chose a un objectif et chaque fait et geste est le fruit d’une pensée réfléchie : Harakiri devient alors une œuvre politique bouleversante voyant un système presque binaire dévoiler avec finesse et parcimonie la misère de nombreuses familles japonaises.


Familles qui font face à une institution qui prône un code d’honneur comme socle de pensée et de ligne de vie. Pourtant cette base, ce dogme, cette dite loyauté, va vite être mise à mal par Tsugumo : méthodique, froid dans son discours, cynique dans sa manière de raconter son passé, il ne se laisse jamais déborder par ses propres émotions. Son plan est parfaitement articulé : la vengeance est un plat qui se mange froid et qui est délité dans le temps. Ce même délitement et cette même latence dans la finalité qu’on retrouvait dans Rashômon d’Akira Kurosawa. Kobayashi voit en Tsugumo le soulèvement des opprimés, ces familles unies dans l’amour et le respect qui se voient broyées par leur révérence, et la détresse d’une partie de la société noyée et étouffée par un système déshumanisant et qui ne laisse aucune place à la faiblesse : c’est une colère politique.


Une colère esthétique


Et c’est ce qui fait que Harakiri, au travers notamment de son personnage, est un film prodigieux qui matérialise avec fougue un protagoniste héroïque : un homme qui va se servir du système, qui va pervertir et faire mentir un code d’honneur balbutiant, tout en gardant son honneur et laver l’affront qui a été fait à sa famille. Mais cette rigueur dans la machination n’est pas seulement perpétrée par la logique pyramidale du scénario : mais aussi par son esthétique. Celle qui est martiale, rectiligne dans ses moments de dialogue mais aussi celle qui se veut souple, ample et remplie d’émotions dans les combats : comme si la finalité de cette vengeance, outre le fait de vouloir faire naître la vérité, était celle de tuer la fausseté de l’honneur pour faire rejaillir le trait du cœur de l’Homme.


Cœur que l’on retrouve dans des duels au sabre filmés de manière contemplative, iconique comme un western de Sergio Leone et presque irréelle avec des sabres qui coupent le vent ou qui caressent les hautes herbes des plaines comme aurait pu l’imaginer postérieurement un Terrence Malick. Mais le sang de la colère sacrificielle qui coule dans les veines d’Harakiri vient aussi beaucoup de son acteur : Tatsuya Nakadai. Un charisme presque surhumain, une élégance dans la violence, un physique aussi brut qu’éreinté, une liaison presque charnelle avec la mort et une dureté dans l’émotion qu’on a déjà entraperçus dans les Sabres du Mal. Une incarnation visuelle et émotionnelle qu’on retrouvera plus tard, dans un tout autre contexte, avec Choi Min-Sik dans Old Boy.


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le 11 avr. 2019

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