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Vous vous réveillez amnésique, vous êtes manifestement un cyborg et vous êtes complètement muet. Une femme vous explique qu'elle est votre épouse et vous demande de la suivre, pour que le joueur apprenne à marcher. Vous en profitez pour regarder autour de vous, puisque c'est la seule action qu'on vous autorise pendant cette cutscene interactive. Soudain, un grand méchant intervient avec plein de militaires et vous montre comment qu'il est vilain. Il n'a pas traîné pour apparaître, histoire de permettre au joueur de démarrer au plus vite. Vous vous échappez avec votre femme dans un didacticiel où l'on ne vous laisse pas le loisir de véritablement jouer, mais qui reste assez punchy pour vous faire avaler ces couleuvres. Vous finirez par faire face à vos premiers ennemis : votre épouse fait implicitement démarrer le tutoriel en vous hurlant "Défends-toi ! Frappe le !" ("Mais merde, pourquoi elles apparaissent pas les touches ?"). Un script, une cutscene, et vous devrez enchaîner les niveaux pour retrouver la princess... votre femme, le tout durant la même journée. Enfin... vous regarderez un PGM s'en occuper pour vous.


Hardcore Henry n'est pas un film. Avec sa vue intégralement à la 1ère personne, on pourrait croire qu'il fait référence aux jeux-vidéos. C'est bien plus que ça. D'autres ont parlé d'un jeu dont on nous aurait confisqué la manette. C'est tout à fait ça, mais j'y vois encore autre chose. Parce que le film s'acharne tellement à recopier le moindre code vidéoludique que j'y vois une forme d'essai involontaire pour montrer tout le décalage qu'il y a entre un FPS moderne et un film. Comme un movie vs life, on a un game vs movie. Car ces codes du jeu-vidéo n'ont rien de filmique.


Ce qui m'a le plus marqué réside dans les dialogues. Ce sont des répliques de PNJ. Quand le héros se rend dans un stripclub, il glane des bouts de conversations banales qui sont typiques d'un jeu (pour renforcer l'immersion) mais qui sonnent faux dans un film. Les personnages rencontrés ont une façon de parler vraiment peu naturelle, même face à un muet. Ils coupent court aux préliminaires, ils font un briefing ("Il faut protéger l'handicapé. Couvre moi !"), ils font mêmes des tutoriels complètement assumés et des félicitations pour les faits d'armes du joueur. De temps en temps le portable sonne et un message dit simplement "Rends toi à tel endroit", et c'est partit pour un nouveau niveau sans plus de transition. D'ailleurs les PNJ ne discutent presque jamais entre eux, Henry est le centre du monde puisque c'est le joueur et que c'est à lui que le jeu s'adresse pour lui indiquer quoi faire.


Ensuite il y a l'univers présenté qui ne fait pas très sérieux. On a un héros cyborg, des pouvoirs télékinésiques et des PNJ aux looks complètement clichés et hétérogènes, du militaire caricatural au punk en passant par une nana en cuir armée d'un katana, le tout sans la moindre recherche de cohérence artistique. Ce sont des clichés vidéoludiques qu'on nous balance à la face, de même pour les lieux visités et surtout les séquences d'action bien génériques (infiltration avec script, boss, corps-à-corps, plateforme, rail-shooting...). Cette vue à la première personne inclut d'ailleurs la vue du bras qui tient une arme, les situations sont elles aussi assez typiques (tout l'armement des FPS y passera).


Enfin il y a cette gestion du rythme et de la narration. Les dialogues font exactement la même durée que dans les cutscenes des FPS classiques : cette durée qui permet de justifier le changement de cadre ou d'objectif, mais qui doit rester assez courte pour ne pas ennuyer le joueur qui a payé pour buter plein de trucs et pas pour passer des plombes devant des cinématiques (ne me citez pas de contre-exemples, je généralise outrageusement comme le film). En résulte un rythme bien trop rapide pour un film, on n'a pas le temps de souffler et on ne profite pas aussi bien des dernières bastons que des premières. N'attendez pas trop de développement scénaristique non plus, toutefois vous aurez des références claires à Bioshock qui continuent de souligner la différence entre un scénario de film et un scénario de jeu-vidéo.


Ce film est complètement artificiel, mais c'est une artificialité qui m'a beaucoup amusé puisque c'est celle des jeux. Je me suis marré à voir tous ces codes incorporés tels quels dans le film, comme ce rechargement de la barre de vie, ces scripts, ces objectifs de mission, cette gestion du mutisme et de l'amnésie du héros. Il ne manque que les bidons rouges explosifs. Je passais mon temps à me dire "Non, ça aussi ils l'ont fait !", je voulais voir jusqu'où le film pousserait la ressemblance contre toute logique cinématographique. Et le résultat est éloquent, c'est tout pareil qu'un jeu mais sans les QTE, et on saisit bien mieux tout ce qui devrait nous choquer dans le monde vidéoludique que dans n'importe quelle vidéo SMOSH. En prenant ce faux-film au second degré, ça m'a bien amusé.


Pourtant j'ai oublié de parler de ce qui devrait être l'élément primordial de ce genre de film : l'action. Alors ce n'est pas toujours bien clair à suivre avec cette vue particulière, mais ça envoyait bien. Il y a des passages confus ou un peu lambdas, mais il y a une sacrée énergie et les situations sont variées. Faut pas être trop regardant sur la crédibilité, des fois ça devient comique tant c'est exagéré (le crachas de la mort !). La lassitude guette pourtant avec ce nombre trop grand de moments d'action, fallait nous laisser souffler un peu plus. Toutefois la fin, vidéoludique au possible, rattrape un peu ça en balançant la purée et s'achève sur un délire de boss final.


Hardcore Henry était assez fatigant et risque fort de blaser tant son fonctionnement est incompatible avec le cinéma. Son seul moment non-vidéoludique réside dans un générique d'ouverture de mauvais goût, montrant la violence de la façon la plus complaisante possible sans dimension artistique, comique ou tout simplement de feedback pour justifier ça. Au moins annonce-t-il la couleur (rouge) quant au contenu sanglant, le film sautant à pieds joints dans l'humour gore à plus d'une reprise. Ce film était pourtant intéressant à suivre, presque malgré lui. Il a en fait le mérite d'exister et de créer ainsi un précédent en matière de transposition littérale d'un FPS sur grand écran. Et puis il arrive aussi à être fun. En bonus.

thetchaff
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le 18 avr. 2016

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