"La magie est plus forte quand elle s'appuie sur le réel"

Harry Potter... Est-il encore utile aujourd'hui de présenter le jeune sorcier britannique? Qui n'associe pas immédiatement à ce patronyme des plus banal cicatrice en forme d'éclair, lunettes rondes et baguette magique? Véritable phénomène pour toute une génération, adoré par un grand nombre de petits et grands, impossible de ne pas au moins y avoir laissé traîner un œil furtif. L'âge sinon d'y croire férocement au moins d'en avoir la féroce envie, une certaine propension à rêver et une légère tendance l'obsession, tous les facteurs étaient réunis pour que je plonge la tête la première dans la Pottermania, et jusqu'aux chaussettes.
Car j'ai porté des soquettes brodées d'éclairs, des tee-shirts ornés du logo bien reconnaissable, et même des petites culottes décorées de chouettes. J'ai mangé des Chocogrenouilles qui bien sûr ne bondissaient pas, et des Dragées surprises de Bertie Crochue qui n'étaient que de vulgaires Dragibus. Mes livres de classe étaient recouverts de papier parsemés de balais et mon crayon surmonté d'un vif d'or en plastique du plus bel effet. J'ai fabriqué des hiboux en carton que je soignais amoureusement avec de généreuses doses de papier collant.
Alors imaginez, quand fut annoncé que le monde des sorciers allait prendre vie sur grand écran! J'ai avidement collectionné posters et articles de presse en attendant le grand jour, le jour HP. Je n'y tenais plus. Impatience dévorante, folle espérance, terrible appréhension... Toute la magie contenue dans les pages de mes livres n'allait-elle pas s'évaporer au contact de la pellicule? Une caméra pouvait-elle capter un peu de l'essence de mes rêves d'enfant?


Harry Potter à l'école des sorciers version cinéma, c'était donc le grand saut de l'écrit à l'image vivante, les premiers pas du petit sorcier hors de ses pages confortables. La grande rentrée à Poudlard pour Harry et ses amis, et, du (pas très) haut de mes onze ans, j'avais l'impression que c'était aussi la mienne. Curieusement, mes souvenirs de cette séance de cinéma sont plutôt flous, si ce n'est mon émoi ô combien intense.
Lourde tache en effet que de mettre en scène la première esquisse de cet univers magique. Ils étaient pourtant pléthore à vouloir risquer l'exercice, de Mike Newell que l'on retrouvera à la direction du quatrième volet en passant par Steven Spielberg, refusé par Rowling pour un désaccord de casting, l'auteure tenant à ce que son héro soi bel et bien anglais. Après moult tergiversations c'est finalement entre les mains de Chris Colombus, bien rôdé aux productions familiales, que reposeront tous les espoirs et inquiétudes de bon nombre de pottermaniaques. Et si c'est bien l'axe d'une découverte enfantine un peu candide que suit le réalisateur pour cette première adaptation, il marque un attachement à l'oeuvre originale qui a de quoi ravir le fan exigeant, ou en tout cas ne pas le faire grincer des dents.


C'est que le bougre sait s'entourer. John Williams marque une nouvelle génération de jeunes oreilles avec son thème majestueux et ensorcelant. Mais surtout Colombus est secondé par le très talentueux chef-décorateur Stuart Craig. Assisté par Stephenie McMillan qui chinera dans tous les endroits possibles et impossibles les mille et un objets qui habillent les maisons, les boutiques et le château, il recrée le monde envoûtant de la sorcellerie avec une classe folle. On retrouve le mauvais goût consommé de l'étouffant pavillon de banlieue des Dursley, le savant désordre des bazars magique du Chemin de Traverse, avec ses devantures aux couleurs passées et aux vitrine alléchantes, et surtout la délicieuse chaleur de Poudlard. J'avais onze ans, et j'avais l'impression de rentrer à la maison.
L'architecture de ce Poudlard ne cessera d'évoluer au cours des dix années que durera cette épopée cinématographique, mais les bases posées par Craig dans ce premier volet resteront inchangées, quelque chose entre le collège anglais et la cathédrale gothique avec une touche victorienne de-ci de-là. Un composite hétéroclite mais un heureux mariage, quelque chose "d'énorme, compliqué mais élégant". S'appuyant sur des éléments architecturaux existants - le succès étant encore incertain il eut été trop coûteux de reproduire certains de ces lieux en studio - et gardant à l'esprit pour philosophie "la magie est plus forte quand elle s'appuie sur le réel", Craig nous offre à découvrir des décors neufs pour nos yeux mais que semblent avoir hantés mille générations d'élèves - au nombre desquels, peut être, Lord Byron et Winston Churchill (*). L'on croirait presque sentir la poussière de craie des salles de classe, l'odeur de vieux livres qui flotte dans la bibliothèque et celle de cire d'abeille qui se dégage des boiseries de la salle commune briquées par des elfes de maison besogneux.


Mais de somptueux décors ne suffisent pas à donner vie à tout un monde, encore faut-il le peupler. Si le juvénile trio de tête se montre quelque fois malhabile, on lui pardonne d'autant plus volontiers qu'il est soutenu par nombre d'acteurs de talent, issus de pays de Sa Très Gracieuse Majesté, cela va sans dire. Les personnages rêvés dans un train entre Manchester et Londres prennent corps, comme s'ils avaient toujours existé en parallèle de notre monde. Détestable ou adorable, malicieux, glaçant, sympathique ou ambigu, chacun remplit son rôle pour mieux leur donner vie. On frissonne aux murmures doucereux du professeur Rogue, on s'apitoie - un temps seulement - sur le p-p-pauvre et bégayant professeur Quirrell, on rit des maladresses du lunaire Neville ou de l'emphase d'une Hermione au curieux sens des priorités. Sous nos yeux émerveillés, Poudlard se déploie, se peuple, prend vie et nous ensorcelle.


Chris Colombus laisse son film prendre son temps et s'accorder ce qui manque parfois aux suivants: quelques brefs instants perdus sur les bancs d'une salle de classe ou à l'angle d'un couloir, ces petits moments entre deux aventures trépidantes qui nous laissent nous imprégner de la magie de l'univers. C'est néanmoins à double tranchant, car l'action s'en trouve un peu précipitée. C'est que malgré un premier tome pas bien épais, cette première année s'avère mouvementée et les deux heures et demie que dure le film suffisent à peine. Il a bien fallu raboter, rogner et escamoter un petit peu par-ci par-là, la transition du papier à la pellicule nécessitant forcément quelques ajustements. Ainsi, j'ai toujours regretté l'absence de l'épreuve des potions sur la route périlleuse vers la Pierre Philosophale, qui permettait à Hermione de briller par sa froide logique et son esprit de déduction plutôt que par sa capacité à régurgiter sur commande tout le savoir emmagasiné. De même que Peeves l'esprit frappeur auquel Rick Mayall a pourtant prêté ses traits ne mettra pas son grain de sel - de toute façon, il aurait plutôt renversé la salière - coupé lors du montage final.
Mais la fidélité au matériau de base reste à saluer. D'un début très moldu à l'inévitable affrontement avec l'épouvantable mage noir, point d'orgue de chacune des aventures du jeune sorcier à l'exception du troisième volet - mais ne dit-on pas que l'exception confirme la règle? - Colombus suit pas à pas le roman de J. K. Rowling. Il signe donc une adaptation honnête, propre, mais d'un classicisme un peu plat. Le réalisateur semble finalement moins inspiré que ses décorateurs, et l'on peut regretter l'arrière-goût trop fade l'enchantement. Comme un manque de loufoquerie, une absence de baroque bizarrerie,, malgré une fluidité qui vous happe si facilement hors de la banalité d'une vie moldue.


Car si le plaisir de se replonger dans la découverte de l'univers n'est pas tout à fait intact, il reste bel et bien là. J'ai toujours gardé même en grandissant une certaine affection pour le jeune sorcier binoclard et ses amis, un amour immodéré pour Poudlard, et je ne boude jamais l'occasion d'y faire un saut.


(*) La scène où les jeunes sorciers s'exercent à l'art délicat de la lévitation a été tournée dans la Fourth Form Room de la Harrow Old Scool. Les lambris en chêne qui tapissent la pièce s'ornent de signatures d'anciens élèves ayant fréquenté l'illustre établissement pour garçons. On y trouve, entre autre, celle du sulfureux poète et du plus célèbre Premier Ministre britannique.
Auraient-ils eux aussi usés leurs fonds de culottes sur les bancs de Poudlard?

Cocolicot

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7
3

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