Exit Chris Colombus, bienvenida Alfonso Cuaron. Choisi pour réaliser Le Prisonnier d'Azkaban, sorti en 2004, le réalisateur mexicain fait figure d'OVNI dans la saga, tant il est certainement le plus « auteur » des réalisateurs qui se sont succédés derrière la caméra de la saga Harry Potter. Après lui s'impose définitivement l'ère des yes men : avec Mike Newell puis David Yates, tous deux au style très impersonnel, raccord avec les attentes du studio Warner. Des choix qui coïncident d'ailleurs – et ce n'est en fait évidemment pas un hasard – avec le début du franchise system, qui ouvre le règne de Marvel, Warner et Universal sur le box-office mondial, et l'âge « d'or » des yes men que nous vivons aujourd'hui. Mais bref, c'est un autre sujet.

Ce qui est étonnant, c'est que Le Prisonnier d'Azkaban a été assez critiqué, notamment par les fans, qui lui reprochent d'avoir pris de grosses libertés avec le livre (encore une fois, si vous vouliez la même chose que dans la bouquin, lisez le bouquin, merde, les gens) ; mais également par la critique presse. Pour autant, ce serait oublié que Cuaron a laissé une empreinte indélébile sur la saga, et a imposé des normes de ton et d'esthétique qui définiront la base des cinq autres opus. Par exemple, Harry Potter 4 débute avec un plan séquence tout à fait « cuaronesque », et le panel de couleurs gris-bleu sera le leitmotiv de toute la saga dorénavant (pour être honnête, Colombus avait déjà amorcé cette transition vers la noirceur dans La Chambre des Secrets).
Pour autant, Cuaron ne restera que le temps d'un film : et pour cause, le long-métrage est critiquable. Et n'en déplaise aux fans, c'est le fait de n'avoir en réalité pas pris assez de distance avec le livre qui le dessert à l'arrivée.


Pour le dire grossièrement, on s'ennuie devant ce film. Non pas qu'il soit chiant, ou particulièrement lent ou laid. C'est même un des films les plus esthétiquement aboutis de la saga, et pour cause, vu l'homme derrière la caméra, qui nous gratifiera de son chef-d’œuvre deux ans plus tard : Gravit.. aha vous y avez cru, non, Les Fils de l'Homme. Cuaron nous gratifie d'une réalisation assez aérienne, d'une fluidité ahurissante, composée de beaucoup plus de plans longs (évidemment de plans séquences). Par exemple, il y a très peu de champs/contre-champs dans les conversations : Cuaron préfère faire « rôder » ou tournoyer sa caméra autour des protagonistes, à l'image de ce plan-séquence parfait qui suit la conversation entre Harry et le père Weasley au Chaudron Baveur.  

Le problème ne vient donc pas tant de Cuaron et de la réalisation que de la structure narrative et du scénario. Et en fait on peut réduire les failles du film à quatre mots : le Retourneur de Temps. Alors ça, dans le rayon « idées de merde », ça se pose là. C'est une des bases de l'écriture scénaristique : n'introduisez pas de voyage dans le temps dans vos récits si vous n'y êtes pas forcé (genre si ce n'est pas le sujet de votre film), c'est la porte ouverte à toutes les incohérences du monde. Et ce qui est valable pour le film, l'est aussi pour le livre – donc le problème vient initialement du livre, vous avez bien entendu, les Potterheads. D'ailleurs, pour la petite anecdote, J.K. Rowling a déclaré que c'était un de ses gros regrets. Elle a d'ailleurs réglé la question en détruisant l'objet dans le cinquième tome. Bref, cela crée un gros bullshit dans le film (attention c'est un peu compliqué) : Hermione remonte le temps pour sauver Buck l'hippogriffe d'Hagrid, or lors de la première scène où on assiste à l'exécution de l'animal, elle est déjà remontée dans le temps, puisque Harry et Ron reçoivent des cailloux dans la tête, cailloux précisément lancés par Hermione qui est remontée dans le temps. Donc le présent auquel nous assistons est déjà altéré. Dés lors, Buck ne peut mourir à la fin de cette scène, et le bourreau se contente d'abattre sa hache sur une citrouille, de dépit. Question : comment les trois héros qui assistent à la scène ne peuvent pas remarquer la disparition de Buck ? L'animal étant quand même assez imposant, ils auraient du le voir, et donc ne jamais remonter dans le temps puisque la solution était réglée. Or elle ne le serait pas s'ils ne remontent pas, donc bref, paradoxe temporel, c'est le bordel, vous l'avez compris. Les voyages temporels dans Harry Potter, c'est une connerie.


Mais ce n'est pas tant cette incohérence qui est la plus grave. Le problème est d'ordre narratif : remonter le temps implique de rejouer la même scène, qu'on a déjà vu, et, paradoxe temporel oblige, dont on sait déjà l'issue pour peu qu'on y réfléchisse trois secondes. Du coup on se retape vingt minutes de ce qu'on a déjà vu, sachant que le troisième acte de ce film est franchement mou de base (en même temps Cuaron est un mauvais choix si on s'attend à de l'action véritable). Le film étant assez posé le reste du temps, plus orienté sur les dialogues, le tout donne l'impression d'être bien plus long que les deux premiers, alors que c'est en réalité le plus court des trois...
Résultat, le film devient en sortie de visionnage assez oubliable, alors qu'il a plein de moments qui méritent qu'on les retienne, qu'il fourmille d'idées de mise en scène qui donnent au film une harmonie formelle qui colle parfaitement avec l'univers magique du jeune sorcier. C'est tout le paradoxe du Prisonnier d'Azkaban : son impact sur la saga, en terme d'esthétique et de réalisation, sera durable et profond ; celui dans nos mémoires de spectateur, lui, est trop mince.

Dommage, cela aurait mérité mieux.


La suite de la rétrospective rectifiera-t-elle le tir ? A suivre...

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le 4 oct. 2016

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Cyprien Caddeo

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