La première partie des Reliques de la mort s’ouvre et se clôt sur une scène de disparition : disparition de l’enfant à sa famille que cette dernière accomplit – c’est le cas de Harry - ou subit – le cas d’Hermione –, disparition de l’esclave affranchi qui laisse les siens, ses amis comme il aime à les appeler, son ami depuis la deuxième année à Poudlard. Aussi ce septième volet des aventures du jeune sorcier fascine-t-il en raison de sa noirceur qu’incarne une esthétique gothique et insalubre, que prolongent des thématiques axées sur la jalousie, l’incertitude amoureuse, la confrontation de l’adolescent à la méchanceté radicale du monde adulte et de la tentation que celle-ci exerce sur les innocents.
Car le long métrage de David Yates est une œuvre tourmentée qui travaille au corps la notion de tentation : la tentation de se rallier au Mal avec sa majuscule – le professeur Rogue et Drago Malfoy assis à la table de « celui dont on ne doit pas prononcer le nom », aux visages blafards – ou de résister au mépris de sa vie et de la vie de son entourage ; la tentation de céder à la facilité, de quitter le champ de bataille pour se rassurer derrière son poste de radio. Le parti pris dramatique bénéficie d’un sens de l’esthétique remarquable, à mi-chemin entre l’abstraction contemporaine et le gothique le plus inquiétant, menace hétérogène qui semble tenir ensemble un passé en lambeaux et un avenir vidé de sa substance humaine et sensible, aussi aseptisé que la politique de purification menée par le ministère de la magie.
Il n’est pas anodin que l’œuvre réinvestisse un intertexte bien connu, le régime nazi et son idéologie de race supérieure et de sang pur – thématique présente dès le premier film mais qui trouve certainement ici son incarnation la plus aboutie et dérangeante. Le parcours des trois adolescents devient ainsi une croisade dirigée contre l’obscurantisme dans son acception la plus large et rejoue en mode mineur (pour ce volet seulement) la relation qui unit l’individu à sa société d’appartenance à laquelle néanmoins il n’appartient plus. La marche des jeunes sorciers mute en tribunal à ciel ouvert où éclatent les rancœurs, où l’orphelin se raccorde avec la douleur de sa condition en se rendant sur la tombe de ses parents, fleurie pour l’occasion par Hermione.
Œuvre de solitude, Les Reliques de la mort constitue un épisode à part dans la saga Harry Potter, une pause, sa véritable clausule – entendons, sa clausule hors des codes du blockbuster lambda –, l’un des meilleurs épisodes qui ose s’affranchir de la dynamique des anciens films pour imposer son errance, sa mélancolie, sa quête intérieure qu’extériorisent, à la manière de métaphores, horcruxes et reliques de la mort. Le trio d’amis devient un triangle amoureux on ne peut plus ambigu, allant jusqu’à l’érotisme évanescent, les couples ne cessant de se faire et de se défaire. Porté par la magnifique partition d’Alexandre Desplat, le long métrage pousse la saga dans ses ultimes retranchements, atteint un point de non-retour bouleversant au-delà duquel il n’y a rien puisqu’il a l’intelligence de poser une question, terrible : à quoi sert la magie quand on est seul ?