Comment se donner l’air de moquer les valeurs du capitalisme, tout en les idolâtrant…

Il est des films qui écartèlent entre un plaisir immédiat, guetté par la superficialité, et l’effet de recul et de retour de la réflexion qui s’abat avec le générique de fin. Parfois, cet effet joue en faveur du film. C’est le cas avec l’insurpassable documentaire de Patricio Guzmán, « Nostalgie de la lumière » (2010), dont on ne finit pas de mesurer la force et la portée, après que l’écran a retrouvé sa blancheur initiale. D’autres fois, le plaisir fugace éprouvé à la vision du film s’évanouit dès que s’inscrit le mot « Fin », qui contraint le spectateur à une forme de bilan. C’est le cas pour « Haute Pègre ».


À Venise, dans la ville romantique par excellence, d’emblée rayée par l’image d’un gondolier charriant des ordures, une voleuse à la tire, Lily de Vautier (Miriam Hopkins, espiègle et charmeuse à souhait) et le cambrioleur Gaston Monescu (Herbert Marshall, dont le charme s’est dévalué en 2021) se séduisent mutuellement par leur art de l’escroquerie et font équipe vers Paris, où ils décident d’utiliser les avantages et les belles manières de Gaston pour s’introduire auprès de la belle et riche Mariette Colet (Kay Francis), afin de la spolier. Les jeux de séduction rendront la partie plus délicate que prévu mais les deux escrocs s’en tireront sans dommage, dans une complicité finalement retrouvée, et triomphante.


Certes, les dialogues, parfois même les situations, sont spirituels en diable, les coups de patte sont portés à bon escient et peuvent provoquer une certaine jubilation.


Mais au bout du compte ? Quelles sont les valeurs refuges, même si elles sont officiellement moquées ? L’argent, les biens… N’allez pas vous fourvoyer dans les sentiments et attendre quoi que ce soit de qui que ce soit. Vous seriez à coup sûr déçu et votre main se refermerait sur du vide. La complicité finale des deux escrocs le clame bien : comptez plutôt sur l’argent qui, lui, vous procurera des satisfactions, fussent-elles éphémères. Peut-être l’ensemble prétend-il jouer sur un ènième degré ; il n’empêche qu’on est en droit d’avoir d’autres fascinations…

AnneSchneider
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le 26 oct. 2021

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Anne Schneider

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