Un film d'apprentissage communautaire explosif

Un soir d'hiver en 2009, je me souviens bien de mon état psychologique post-dépressif où j'avais l'impression d'avoir soudainement vieilli d'une dizaine d'années alors que je n'avais encore que 26 ans. J'avais bien aimé le documentaire "Crossing the bridge, the sound of Istanbul", ville où je me suis rendu autrefois et dont j'avais apprécié l'ambiance populeuse mais non dénuée de cette élégance qui reste aux vieilles capitales d'empire. Je partage aussi cette connivence des milieux communautaires d'origine immigrée éclatés en petits bouts de famille qui se confondent peu à peu dans les sociétés européennes, où respire une certaine liberté due à un certain détachement vis-à-vis du pays d'accueil et une complexité identitaire qui est tournée vers l'avenir, refusant de s'attacher à un territoire particulier.


Head-On fait souffler une bonne rafale de fraîcheur et de liberté, qui disperse les logiques d'enfermement traditionalistes et les réflexes de repli sur soi. C'est une oeuvre salutaire, qui n'est pas parfaite au plan technique et n'est pas très innovante au plan artistique, mais qui a la force de clouer au pilori, avec la désinvolture d'une jeunesse punk, certaines représentations d'un multiculturalisme bien-pensant qui calque les traditionalismes les plus rétrogrades et restitue avec une certaine dignité les nouveaux visages de cette identité complexe autour d'immigrés déracinés ayant perdu leur culture d'origine. La fin du film est ambigüe et ne donne pas vraiment de réponses, dans cette Istanbul elle-même en pleine mutation au carrefour de l'Asie et de l'Europe.


Après avoir vu le film plusieurs fois, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que le cinéma français des vingt dernières années aurait été bien incapable de réaliser une telle oeuvre, parce qu'il n'existe pas de réalisateur ayant la trempe de Fatih Akin, alors qu'il trouverait sans problème son public. Alors que la population française immigrée a tendance à se crisper autour d'identités et de représentations communautaires post-coloniales un peu racornies, désuètes et de plus fagotées par des manipulations hypocrites qui visent à enfermer les gens dans des cases qui, apparemment, révèlent de plus en plus leur fragilité et leur absence de fondement. Un film comme Head-On en France aurait l'avantage de casser certaines idées reçues et de promouvoir un apprentissage de l'émancipation, même si, en fin de compte, Fatih Akin présente ici une vision négative sur les issues d'une telle démarche.


Head-On reste une oeuvre joliment pessimiste sur le parcours de destins brisés par les différences de culture et de génération, par l'impossible rapprochement entre les frontières et la perte d'un passé lointain, devenu inconnu et totalement étranger.

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le 27 mars 2015

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