"Rien n'est blanc ou noir totalement..."

Toute mauvaise foi post-me-too mise à part à l’égard des films « par les bonhommes/pour les bonhommes/avec des bonhommes », je regarde celui-ci en pensant m’offrir le cocktail adrénaline-testostérone d’un divertissement culte, mise en scène élégante en prime. Ca ne rate pas au début. La chorégraphie de la scène d’ouverture est d’un naturel sans appel.
Puis, très vite, ça se gâte. Le film prend des allures de pause clope du chef-d’oeuvre qu’il pourrait être. Ca parle, beaucoup, sans se dire grand chose. Amorces d’intrigues secondaires, avortées en cours de route, pour recentrer le propos sur l’individuel, dès lors qu’il quitte la cour de récré du choeur masculin pour rentrer à la maison. Au jeu habile des braquages virils succède une jonglerie bourrue dans les relations à la sphère « privée » - aux femmes. L’épouse froissée à rassurer, la douce graphiste à coloniser, la belle-fille hostile à se mettre dans la poche.
Je ravale ma salive face à la dureté des mots qui surgissent d’entre les couronnes de boucs (épilés au millimètres, mes hommages la coiffeuse Vera Mitchell), à la gueule de leur gonzesse, parce que tu comprends, leurs affaires à eux constituent des issues bien plus grandes que la cuisson ratée du poulet qu’on leur sert après la bataille. Gloups. Bon.
On nous met face à difficulté d’une coexistence vie professionnelle/vie personnelle. D’accord. J’attends, donc, non pas sans impatience, la sublimation de cette violence, dans des scènes d’action mémorables où cette rage frustrée explose. Eux semblent aussi attendre, en suspens. C’est qu’ils semblent vouloir partir, Robert et Al, rejoindre leurs homologues qui s’éclipsent au fur et à mesure de ce (faux) récit choral, mais sont très vite enfermés dans l’embarras de leur hésitation : l’adrénaline virile des braquages de banque ou la vie rangée qui sent le poulet trop cuit ? Une décision est à prendre, ils le savent et en parlent dans les termes, autour d’une table de restaurant. Parce que c’est pas des bourins non plus, ils voudraient simplement partir. En attendant le dénouement qui leur en accordera la permission couteuse, c’est bien morne et peu généreux.
Pourtant, des ingrédients pour un grand film, il n’en manque pas… Al Pacino, grandiose, porte le script à bouts de bras et écrabouille les grimaces compulsives d’un De Niro qui brode avec ce qu’il a (un rôle peu propice à une prouesse d’acting réelle) et berne ses pairs avec ce qu’il connait. En bon natif du lion, ce n’est qu’après d’interminables minutes de néant qu’il abat de sang froid, après lui avoir ordonné « look at me, look at me ! », un type en peignoir éponge qui pousse un cri d’otarie sur son canapé. Gloups. Al Pacino, en bon natif du taureau, ne se donne pas tant de peine : un regard, deux traits de khôl (mes hommages à John Caglione et Ken Diaz, maquilleurs). Il fait le travail, spontané et serein au milieu du foutoir, chewing-gum en bouche, à la Brad Pitt dans Seven…Ce chewing-gum, repère stylistique du « flic aimable mais intransigeant  » (?), il ne veut pas en démordre, et il y revient jusqu’à l’usure, sans toutefois parvenir à en trouver le goût : celui d’un subterfuge photogénique usé pour assaisonner une intrigue sans saveur ? Ou la preuve plus désinvolte d’une aisance d’interprétation sans faille ?
Mon mur révèle de nouvelles aspérités qui m’excusent une minute (et quelques dizaines d’autres) de ne pas avoir trouvé la réponse dans l'écran.
J’essaye de suivre (mais quoi suivre ?), attendant un final de qualité. Du genre de celui qui explique et qui justifie tout. Ca y’est, eux aussi savent qu’il faut que ça se termine. Alors il se retrouvent et ils dégainent presque en même temps, complices dans leur scepticisme sans même avoir à se le dire. Deux coups de feu, un homme à terre, mais avant ça John et Ken, les maquilleurs qui avaient signé eux aussi pour du spectacle, interrompent leur pause café et marquent d’un trait d’eye-liner noir l’éclat de Pacino, une dernière fois, pour lui montrer qu’il n’a pas fait ça pour rien.
Effectivement, ce n’est pas « rien », mais c’est encore trop peu.
Pan pan, coupé, tout ce beau monde remballe. Noir. Générique. Gloups. Rien n’a vraiment changé.
Comme le sous-titre efficacement une vidéo de la scène au restaurant trouvable sur Youtube (en tapant « heat scène culte », au hasard d’une quête d’ébauche de « message de l’oeuvre», à défaut d’avoir eu de l’action) :
« Rien n'est blanc ou noir totalement… ».
Oui, mais mon mur, lui, est redevenu blanc.

ninamadhavi
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le 8 mars 2020

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Nina D.

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