Le monde que décrit HER est un cauchemar absolu.
Celui que l'on s'apprête à vivre, que l'on vit déjà.
Mais le film prétend en faire un récit d'une douceur et d'une légèreté extrêmement suspectes, d'une part, et souffre, d'autre part, d'une esthétique publicitaire terrifiante de nullité.
Les couleurs pastels, les peaux oranges, la brume toute Hamiltonienne, les musiques pseudo-lyriques d'ascenseur, les décors de magazine sur papier glacé, ternes et morbides... La ville infinie et cosmopolite, résultat de l'uniformisation américaine globale: tout est directement tiré d'un spot de publicité pour parfum, pour automobile... ou produit informatique.
Voilà ce qu'il faut d'abord souffrir si l'on veut suivre les "aventures" de Theodore Twombly.
Un "héros" bien de notre temps. Adolescent sensible... de 40 ans, solitaire, écrivain public moderne (dans un monde où l'écriture n'a plus aucun sens, mais, après tout, se reproche-t-on de ne plus graver les paroles sur marbre et au burin ?) et en cours de divorce (évidement, il n'a jamais connu d'autre amour que le premier, étrange leitmotiv du cinéma américain contemporain).
Théodore écrit donc toute la journée les lettres d'amour des autres et rentre chez lui jouer à un jeu vidéo, avant une petite séance de cul par téléphone. Sordide donc et, jusque là, raconté avec une certaine ironie.
Seulement l'ironie disparaît. L'histoire sombre au bout de 10 minutes dans une bluette pour adolescente pré-pubère aussi niaise qu'insipide. Certes Twombly, au lieu de tomber amoureux d'un être humain, s'enivre des paroles sucrées que lui chuchote son ordinateur...
C'est là que le film entre pleinement dans l'univers de la science fiction. Où l'homme aurait été capable d'inventer non seulement une intelligence mais aussi une conscience artificielle.
Seulement cette question, de la frontière entre la machine et l'être vivant est escamotée. Car le film, trop occupé à nous faire croire que cette rencontre est possible, épouse le point de vue de son personnage principal, pour ne plus jamais le quitter: un adolescent de 40 ans donc, qui souhaite à tout prix sortir de sa solitude, mais préfère le confort de l'onanisme à la confrontation désagréable avec l'Autre.
Nous aurons donc droit à l'exposition exhaustive de tous les états d'âmes de ce vieux jeune homme, aussi mièvres soient-ils, comme s'ils étaient paroles profondes. Plus de place dans ce roman à l'eau de rose, où une "relation" avec une conscience artificielle ne choque d'ailleurs personne (si ce n'est l'ex-femme, forcément jalouse) pour les questions que soulève normalement le thème du film: qu'est ce qui fait de nous des êtres humains ? Une conscience (une âme?) peut elle exister hors de toute incarnation ? Les sentiments (délicieuse ambiguïté anglaise, le mot feeling est à la fois sensation physique et émotion, justement) peuvent-ils exister réellement hors d'un corps pour les éprouver ? Qu'est-ce qu'un sentiment s'il ne se traduit justement pas par un mouvement de la chair, une rougeur de la peau, l'agitation du coeur ?
Mise à part la tentative de relation sexuelle, avec une femme-média consentante (curieux concept pour ne pas verser dans le réalisme cru qu'est la prostitution) extrêmement perverse et irréaliste que propose le film, les vraies questions sont escamotées. Phagocytées par des dialogues et des enjeux bien pauvres puisqu'ils auraient été strictement identiques s'ils racontaient une relation à distance, une relation platonique épistolaire par exemple...
Bref, le film est très loin d'atteindre les ambitions qu'il se fixe. Et ne mérite franchement pas les 126 minutes qu'il exige de son spectateur...