En ressortant de HER, j’ai eu l’assurance d’avoir vu un excellent film, voire même plus. Je veux parler de ces films qui peuvent être qualifiés de « leçon », dans tous les sens du terme. C’est la certitude d’avoir vu un film magnifique, imposant, digne, qui fait le taff, et même bien plus.

Pourtant, je me méfiais. J’ai horreur de ces films présentant des dystopies bancales et si simplistes, où le capitalisme, la société de consommation et l’hyper-communication rendent vaines les relations humaines. Pas que je sois insensible à ce genre de critique ; juste que si c’est fait, alors ça doit l’être d’une manière irréprochable pour réussir à faire passer une pilule bourrée de lieux communs.
HER appartient à cette catégorie de film mais rarement une critique sera à ce point bien passée. Spike Jonze distille son film avec une maestria imperméable à la critique. Le monde dans lequel évoluent les personnages est plus proche du notre que l’on voudrait le croire. Dans une Los Angeles sublimée par une photographie démentielle, la technologie et la communication sont reines. Il est rapide de trouver un parallèle entre cette société et la notre, où on ne passe pas cinq minutes sans regarder son portable, sommet de l'impolitesse, quitte à oublier que l’on a en face de soi un véritable être humain (moi le premier d’ailleurs, ce que je regrette). Sont donc crées des OS qui s’adaptent plus ou moins à chaque individu qui s’en procure. Pour Theodore, c’est donc Samantha, un super-programme qui rapidement s’immiscera dans sa vie. Alors attention, c’est le moment où on redoute déjà un traitement hollywoodien tout moche et déjà vu des centaines de fois. Le scénario du film incitait à la méfiance : un homme tombe amoureux de son téléphone portable, pour résumer vulgairement. Comment peut-on bâtir un film un tant soit peu sérieux sur un postulat aussi tordu et casse-gueule ?
Jonze échappe à ces vaines logiques de manière surprenante. Sans me souvenir dans les détails de chaque dialogue, j’avoue avoir été véritablement sur le cul par l’aisance et la facilité avec laquelle le film devient concret et plausible. Tout coule de source, doucement, clairement, sans faire de bruit. Quelques bons mots de Phoenix, des paroles savoureuses de Johansson et le tour est joué. C’est juste incroyable de voir avec quel talent le film réussit à nous mettre dans sa poche au fil des minutes.
Tout, et je dis bien tout, est plausible. Chaque détail est pensé pour dresser un portrait sociologique de la société du XXIe siècle, celle que l’on vit maintenant. Les rendez-vous à deux couples, le jeu vidéo, les lettres d’amour, le divorce… C’est d’un réalisme presque terrifiant tellement c’est bien cerné. Par exemple, on serait tenté d’attendre une réaction de méfiance, d’hostilité de la part de la société, des amis de Theodore sur le fait qu’il se mette véritablement à sortir avec son OS. C’est pour moi le point-clé du film : la technologie s’est diffusée dans toute la société si bien qu’une telle idée n’apparait pas comme saugrenue ni choquante. Elle est tour à tour juste présentée comme intrigante, mais ça ne va pas plus loin. Jonze régale lors de brefs moments si intelligents : la caméra, à travers le personnage de Phoenix, pose les yeux du spectateur sur les passants qui pullulent dans les grandes avenues de L.A. Tous sont obnubilés par la communication. On est à des années-lumière d’un film qui nous prendrait par la peau du cou en nous hurlant « mais regarde comme c’est mal le progrès, regarde bordel ! ». J’ose faire une comparaison, assez bancale je le reconnais, avec le dernier Scorsese : c’est bien plus malin de faire une critique d’un système en le rendant en apparence acceptable et normal qu’en en soulignant les défauts les plus visibles et faciles à critiquer.
Là où Le Loup de Wall Street culmine dans le gavage sauvage pour distiller plusieurs degrés de lecture, HER impose toute sa classe tranquille et maîtrisée de bout en bout, pour nous amener une réflexion ultra-précise de l’univers communicationnel. L’intime est exposé d’une si belle manière que cela serait le souiller que d’essayer d’en dire quelque chose. On est Joaquin Phoenix pendant deux heures. On sue, rêve, fantasme, vit avec lui. Je me demandais vraiment comment le film saurait associer le spectateur à une relation comme celle qui se noue entre Theodore et Samantha. Mais maintenant qu’il s’agit d’en faire un étalage et d’expliquer le pourquoi du comment dans cette critique, je ne peux que constater que je ne trouve pas les mots. Je ne dis rien parce qu’il n’y a tout simplement rien à dire. C’est un récital, tout simplement. HER survole son sujet de manière fascinante, irrationnelle dans sa rationalité aseptisée (doux paradoxe d’un film qui veut nous faire pleurer (et qui y arrive) par quelque chose de froid comme un ordinateur).

J’ai bien conscience que sur le fond, vous n’êtes pas plus avancés si vous lisez cette critique pour avoir un avis sur un film qui vous fascine déjà avant de le voir, comme ce fut mon cas. Je vais essayer d’être plus concis sur la forme, en attendant d’aller le revoir lors sa sortie officielle pour compléter, ou du moins essayer de compléter cette critique.
La photographie est démentielle. En fait, toutes les sensations provenant du film sont parfaites. Ça m’a un peu fait penser à Collateral (rien à voir entre les deux films) : les personnages évoluent dans un environnement sublimé par des sons, des plans magnifiques. Le travail sur les couleurs est proprement hallucinant. La collection de chemises de Phoenix suffirait à disqualifier n’importe quel film d’une note supérieure à 6/10, mais là, c’est rendre attachant un tel personnage dans un univers à la fois accueillant et hostile que de l’affubler d’un tel look. Les plans sur Los Angeles, des toits aux bureaux de la compagnie de Theodore, correspondent bien à ce nouveau cinéma contemplatif (cc Heisenberg), où un environnement aseptisé ou présenté comme tel joue un rôle central et clé dans la construction narrative et descriptive du film. Et il y a la B.O d'Arcade Fire, voilà, allez l'écouter, vous comprendrez.
Sur les personnages, inutile de dire des choses évidentes. Le personnage de Theodore est brisé par une rupture et va se reconstruire pas à pas, avant de « rencontrer » Samantha. Il ne tombe jamais dans le pathétique, malgré sa moustache de beauf célibataire des années 90. Il incarne cette société si étrange, entre optimisme technologique et pessimisme relationnel. Le fait qu’il travaille dans une agence chargée d’écrire des lettres d’amour touchantes et merveilleuses parait original mais révèle bien la tournure que veut donner au film son réalisateur et scénariste. Le monde est faux car même une lettre d’amour entre un couple marié depuis 50 ans a été rédigée par un célibataire dans un bureau d’une haute tour de L.A.
Même Johansson épate. Planquer sa plastique de rêve derrière la voix d’un programme, il fallait oser. Si bien que quand c’est Samantha qui parle, c’est Scarlett qu’on imagine au bout du fil. Je ne sais pas si Jonze avait prévu d’en faire une sorte de fantasme de ce côté-là mais ça marche bien. La scène de sexe entre les deux est probablement la plus étonnante que j’ai jamais vue au cinéma. Un écran noir, les deux se parlent, décrivent leurs ébats et on y croit. C’est beau, c’est simple, comme tout le film.

Je préfère arrêter ma critique là. Je la reprendrai peut-être après un second visionnage mais il est difficile de nier que j’ai pris une claque monumentale devant ce film. Jonze décrit minutieusement une société dictée par le progrès et la communication, à la fois belle (Samantha, les plans sur la ville bouleversants), vulgaire (le jeu vidéo), aseptisée (tout le film en quelque sorte) et surtout totalement réaliste. Il ne s’agit pas ici de juger une telle société, bien qu’on devine le propos qui va dans ce sens, mais bien d’en admirer l’exceptionnelle (re)constitution par le réalisateur.
Malgré son titre imprononçable si on n’a pas un bon accent anglais (« je vais voir Êürh au cinéma, ça te dit ? »), HER est une leçon de cinéma, qui me marquera sans doute pour longtemps. Pour 2014, ça semble en tout cas très bien parti.
Pariston
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le 16 févr. 2014

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