Les relations imaginaires
Je suis embêtée : j'avais très envie d'aimer ce film. Il avait plein d'atouts de son côté : une légère pulsion science-fictive, de l'anticipation à courte échelle ; une réflexion sur la nature profonde des relations humaines ; un réalisateur et des acteurs qui me sont sympathiques.
Pourtant, aucun enthousiasme au moment du générique : la sensation de quelque chose d'incomplet, qui manquait d'audace, sur tous les points de vue, et qui ne m'a pas emportée alors que je ne demandais qu'à être submergée.
- Je trouve le personnage personnage trop caricatural pour fonctionner : on voit tous les fils narratifs dont il est construit, à aucun moment, malgré la bonne interprétation de Phoenix (dont la voix se fêle toujours au bon moment), il ne prend une réelle consistance. Ce n'est pas faute de le doter d'énormément d'émotions : celles des lettres qu'il écrit, celles de ses songes hantés par son ex-femme, celles des innombrables scènes où il regarde le vide avec des larmes pleins les yeux... Mais j'ai eu l'impression que tous ces moments-là étaient trop hantés par des poncifs pour fonctionner complètement : je n'ai pas réussi à m'attacher à ce Théodore rendu malheureux par les femmes : sa mère, qui transformait toutes les conversations en quelque chose à propos d'elle, et dont l'OS Samantha empruntera le même fonctionnement (dévouée à Théodore au départ - et jusqu'à la fin, ne soyons pas injuste-, elle amènera peu à peu les discussions sur le terrain de sa propre identité, enfermant Théodore dans un mécanisme oedipien qui m'a un peu énervée).
Son ex, dont il ne comprend pas la colère - ça serait possible d'arrêter d'entretenir ce cliché infernal de la femme qui n'est pas contente et qui refuse de s'expliquer, rendant ainsi l'objet de sa colère malheureux ? Ou alors de le "désamorcer" en montrant combien, dans une relation, si quelque chose foire, c'est de la faute des deux partis, et combien la colère est souvent entachée d'un désespoir qui peut, parfois, entraver la conversation, surtout quand celle-ci a déjà eu lieu moult fois ? On a l'impression que ce divorce qui n'en finit pas a surgi du jour au lendemain, et que Théodore, qui se remet rarement en question et se pose tout aussi rarement les bonnes questions, en est la pure victime innocente.
Et enfin Samantha, cette OS formidable qui, après un dévouement sans faille, le fera à son tour souffrir de nouvelles manières (que je ne développerai pas pour ne pas spoiler).
Il n'y a bien que son amie, une damoiselle aussi perdue que lui, avec qui il entretient une relation à peu près équilibrée.
- Je trouve l'argument science-fictif développé de manière trop bancale : j'aimais pourtant beaucoup le postulat de départ. Dans une société proche de nous, où, malheureusement, tous les hommes ressemblent à des hipsters, où les villes modernes, loin de ressembler à Blade Runner, sont des mélanges esthétisés de vues de Los Angeles et Shanghai retouchées par des filtres instagram agaçants (j'attendais le moment où quelque chose écrit en Helvetica allait venir surtitrer ce monde propret - les fans de typographie et de design comprendront), les hommes ne savent plus communiquer. L'utopie internet des débuts a complètement échoué : au lieu de rapprocher, elle a achevé de séparer les gens, les condamnant à d'ultra-modernes solitudes, où chacun, enfermé derrière son écran d'ordinateur ou de smart-phone, ne sait plus comment tisser des relations sans faire intervenir du virtuel et n'a plus qu'à rester chez soi à communiquer à travers des chats décevants ou avec des intelligences artificielles. J'ai une telle détestation de ces moyens de communications qui donnent une impression de proximité "absolue" (les "amis" facebook, les réseaux sociaux où chacun essaye de briller plutôt que d'apprendre à connaître l'autre - oui, j'écris ça sur un site encourageant les personnes à s'entre-liker, je suis consciente de ne pas être "pure" et constante dans ma démarche ;-) -, les logiciels de conversations instantanées qui forgent de fausses intimités que ne remplaceront jamais des heures passées avec quelqu'un, à discuter "en vrai", à fabriquer des souvenirs autour d'un film, d'un repas, d'une pinte de bière, etc.) et j'ai vu une telle évolution dans la manière dont les ados que j'ai en charge communiquent ou, au contraire, ne savent plus, pour certains, communiquer que par du brassage d'insignifiance qui cause de vraies blessures... que ce postulat de départ (les hommes ont perdu l'art de communiquer les uns avec les autres) m'a semblé juste. Que l'homme en soit réduit à ne construire une amitié/un amour avec une OS m'a semblé profondément crédible : je voulais en savoir plus sur le type de relations que ces deux-là allaient nouer.
C'est le développement qui m'a déçue : essayons de passer sur le fait que j'ai été profondément agacée par l'aspect gentiment servile de l'outil de départ (Samantha, la secrétaire parfaite : dévouée, rapide, drôle, prenant des initiatives adorables pour servir son boss, sexy malgré son absence de corps... la voix eut-elle été celle d'un homme que j'aurais trouvé ça plus révolutionnaire que de cantonner une nouvelle fois une entité féminine a un rôle de nourrice soumise : ce sexisme ordinaire est lassant).... Je trouve vraiment dommage la manière dont cette idée d'OS se développe : il y a des passages très intéressants (le "trio" décalé), d'autres bien trop précipités (la conversion amoureuse de Samantha et son "you woke me up" : la belle au bois dormant made in Disney a-t-elle des parts dans le film ? Ne pouvait-on pas éviter ce cliché romantique, tellement rabâché qu'il en a perdu toute sa substance ?) ou bâclés : toute la partie - vraiment intéressante et fondamentale à mes yeux - où Théodore se rend compte qu'il est, lui, une petite unité limitée mais que Samantha, de par ses possibilités infinies, la rapidité de son intelligence, sa soif de connaissances, est amenée à repousser sans cesse ses limites et à ne pas se contenter de sa petite relation de dévouement avec lui (tant à découvrir et à apprendre !). Non seulement cette partie aurait pu servir à poser les bases de ce qu'est une relation humaine saine - du donnant-donnant, le respect fondamental des personnalités de chacun, et non pas un miroir où un individu, bénéficiant des "services" de l'autre, se gargarise -, ce qui n'arrive pas car on insiste immédiatement sur le rejet de Théodore qui, après un maigre effort, semble refuser de prendre en compte la "personnalité" profonde de Samantha ; mais il aurait fallu aller jusqu'au bout de cette réflexion, amener à suggérer plus vivement ce qu'est une intelligence supérieure, réfléchir à ce qu'elle implique, dans le cadre d'une relation, pousser le processus de réflexion bien plus loin que ce que les dernières minutes du film (qui concluent plutôt qu'elles n'ouvrent à la discussion) proposent. Le film me semble finir au moment où il aurait dû commencer : qu'est-ce qu'impliquent des relations hommes/machines ?
- Certains partis pris esthétiques m'ont déçue : il y a certes de chouettes idées dans ce monde ikéa aux couleurs chaleureusement saturées, mais rien de novateur. Il aurait sans doute mieux valu choisir une actrice moins connue et bankable que Scarlett Johansson pour jouer la voix de l'OS : non pas que sa voix ne soit pas en tout point parfaite. Mais, simplement, dans les nombreuses discussions sur l'envie de Samantha d'avoir un corps (discussions répétitives : le scénario s'attarde toujours sur les mêmes points, sans les creuser ou en diversifier les approches), il est juste trop facile pour le spectateur d'imaginer celui de l'actrice et de casser, du coup, l'immersion dans un fantasme sans contour qui aurait pu, lui, nourrir la réflexion. Et, enfin, il y a peu de plans/scènes qui émergent de l'ensemble, aucun moment d'émerveillement fondamental : alors certes, cela fait bien ressentir la banalité relative du quotidien de Théodore (tout comme, peut-être, la masse de clichés brassée par le film), mais je suis déçue de ne pas réussir à retenir un moment particulier, qui aurait pu "nourrir" mon regard, me faire rêvasser longuement.
Dommage.