Film d'anticipation d'une intelligence pas uniquement artificielle, cela ne m'étonnerait pas que Her se révèle également visionnaire...
Notre monde occidental qui n'est encore qu'aux balbutiements de l'hyper-connectivité ne devrait pas tarder -à l'image de ce Los Angeles pastel et ordonné où chacun passe sont temps à causer seul à seul avec son portable- à nous rapprocher de la machine au point de l'aimer... A nous isoler les uns des autres au point de nous rabattre tous (ou presque) sur l'amour et le sexe virtuels. D'ailleurs, la vie virtuelle est déjà le refuge de nombre de nos souffrances et de nos frustrations. De toute façon, avec un thème aussi passionnant, on pourrait en écrire des thèses...
Dans cette comédie e-romantique très inspirée de Spike Jonze, c'est une compagnie virtuelle très avancée que l'on nous propose, une compagnie sans corps (juste une oreillette et un téléphone) mais possédant des capacités d'apprentissage, d'adaptation, d'émotion, de démultiplication d'une infinie rapidité.
Théodore, écrivain de lettres d'amour sentimentalement paumé, incarné par l'immense Joaquin Phoenix, finira donc par prendre contact avec un "O.S." dont la voix suave et sensuelle ne sera autre que celle de Scarlett Johansson... Le début d'un rêve quoi !
La solitude, l'engagement, la consommation et la peur de l'autre, la frustration, la jouissance et j'en oublie, sont autant de thèmes abordés par leur seule liaison contre-nature. Leur première relation sexuelle par procuration, si je puis dire, suivie d'un plan nocturne aérien de Los Angeles, constituera selon moi le point d'orgue de l'inimaginable, et pourtant si plausible. La grande séquence émotion de Her.
Il faut dire qu'on se laisse rapidement prendre au jeu, et qu'à y songer, il me paraîtrait bien difficile de ne pas succomber à telle entité, de ne pas succomber à cette intelligence artificielle supérieure bienveillante et à disposition -puisque démultipliable à l'infini-, sans engagement, et pour qu(o)i nous pourrions devenir une sorte de dieu malgré son libre-arbitre. La fin du film aura d'ailleurs l'excellente idée de renverser ce procédé...
Ainsi, dès lors que même les êtres réels en arrivent à rechercher avant tout autre pour désir absolu celui de s'oublier, de se déshumaniser pour servir de corps au virtuel, pour être quelqu'un d'autre et/ou ne plus être qu'un corps, le long-métrage de Spike Jonze atteint des sommets, au point de nous cryogéniser dans le dos. D'ailleurs, je crois que tout comme Théodore j'aurais bloqué dans une telle situation : lorsqu'un être cérébral sait, il ne peut pas faire semblant...
Effectivement, notre corps s'avère unique et fait aussi notre exclusivité, et c'est un peu la morale de cette histoire d'amour, je crois... Une histoire qui se conclut de manière assez subtile, sans trop nous en montrer...
Dommage donc qu'il y ait quelques longueurs et peut-être pas toujours autant d'émotion que ce à quoi on pourrait s'attendre, un peu comme si le film tombait dans son propre piège d'intellectualisation finalement... Mais justement, de ce point de vue, Her se révèle aussi profond qu'original et pour le moins maîtrisé.