Avec son rythme narratif ultra-lent je m'étonne que Her ait arrivé à séduire autant le grand public. Le film, à mi-chemin entre l'introspection et la comédie romantique défonce des portes très ouvertes et surprend, de l'autre côté, en allant là où on ne l'attendait pas. Film surprenant s'il en est, Her n'est pas pour autant un OVNI révolutionnaire mais une surprise d'un bout à l'autre du film.


Dans un futur relativement proche, Théodore Twombly est rédacteur de lettres, c'est-à-dire qu'on le paye pour écrire des lettres à des proches, il joue ainsi le rôle d'un enfant, d'un amant, d'un père, d'une épouse, etc. Théodore est particulièrement doué et possède une véritable sensibilité. Malheureusement, dans sa vie privée, depuis sa rupture avec Catherine, il y a un an, il n'arrive pas à se reconstruire et reste isolé sur lui-même dans une phase de mélancolie proche de la dépression.
Ce qui va changer sa vie est la rencontre surprenante avec OS1, un nouvel OS informatique évolutif, qui parle, gère la vie numérique (mail, agenda, jeux vidéos) de ses utilisateurs et surtout qui s'adapte au cas par cas au point de devenir très individuel. L'OS de Théodore s'appelle Samantha et elle va l'aider à se reconstruire.
Une reconstruction qui va amener à une relation très forte, Samantha éprouve des sentiments, se trompe, s'améliore, réfléchi, se réfléchi, bref, plus cartésien que Descartes, l'OS vit. Et bien sur, ce qui devait arriver arrive, les deux tombent amoureux.


Ce postulat de base m'a amené à penser, et je pense que tous les spectateurs sont tombés dans le panneau, que le film évoquerait la difficulté de vivre une histoire d'amour avec un non-humain. Je voyais déjà les personnages anti-robots qui se battraient contre l'amour. En sommes, je m'attendais à voir un parallèle avec la difficulté de l'amour entre les peuples, entre les origines, entre les différences sociales ou entre les sexes. Je pensais voir un film sur la revendication de la tolérance.
Et c'est là où Her est surprenant, le film n'évoque absolument pas ce genre de message. Celui-ci est d'ailleurs grandement gommé par l'aspect presque normal de la situation. Samantha n'est qu'une OS parmi d'autres, et d'autres OS finissent par avoir des relations similaires.
Malheureusement, si l'esquive de ce conflit est, quelque part, un avantage, car il évite que le film s'embourbe dans une thématique prévisible, le trou qu'il amène n'est jamais comblé. Le grand défaut du film est, en effet, son manque d'engagement. Le film, très beau, n'ose jamais porter un message et n'ose jamais se revendiquer comme une œuvre forte qui marque les esprits sur le long terme. Il offre de la poésie et de la douceur mais absolument pas une pensée sur son époque et sur ce qui fait l'homme. En sommes, et c'est à la fois le plus beau des compliments et en même temps totalement tragique, le film n'ose jamais devenir une référence et un éclat de génie brute. Il aurait eu les moyens d'entrer dans le panthéon des très grands films et il n'ose pas. Dommage car malgré sa jeunesse Spike Jonze est un réalisateur courageux.


Le film donc, sans message, se concentre sur la relation entre Samantha et Théodore. Et, comme je le disais en introduction, le film possède une véritable (et terrible) longueur narrative. En effet, dans la pure tradition des comédies romantiques bien longues et épurée, Her n'a pas de véritable conflit entraînant une potentielle résolution et avancement. Ce que l'on voit, c'est une relation, avec des crises, certes, mais pas une avancée. En sommes, dans sa volonté de réalisme, malgré son étrange sujet, le film fait le choix d'un réalisme morne et parfois un peu ennuyeux. Bien que séduisant dans son ensemble, le film traîne en longueur et une vingtaine de minutes en moins n'aurait pas été négligeable, je pense.
Je vais essayer de finir l'aspect scénaristique pour me concentrer sur le technique. Globalement, vous l'aurez compris, l'idée de base est bonne et bien exploitée en elle-même, mais elle n'ouvre pas de portes, n'offre pas de thématique pourtant intéressantes qu'elle effleure par moment. Je pense notamment à la question du Corps qui aurait gagné à être poussé à bout que ce soit dans les limites de son absence ou dans la possibilité de présentification du corps par la pensée. Les limites du couple ne sont pas exploitées davantage que pour une comédie-romantique habituelle et en sommes la majorité des éléments de la relation aurait pu être dans n'importe quel autre relation de couple plus « normale ». Vous comprendrez donc ma déception de cette non exploitation.
Voilà pourquoi je crois que Her ne sera pas un grand film qui marquera dans dix ou vingt ans, il refuse de prendre un grand sujet, et il reste bien trop normal dans son traitement.


Pourtant, vous l'aurez compris, à côté de ça, le film est pas mal du tout. Déjà parce que la relation, bien que normale, est bien traitée. Le manque de force, de revendication, de puissance, de l'histoire n'empêche nullement d'éviter tous les écueils de la banalités et de l'ennuie. L'écriture est fine, les détails sont nombreux et il faudra en parler avec des amis pour comprendre toute la subtilité émotionnelle de certaines scènes.
Her possède aussi un univers très plaisant, à la fois très proche de nous et légèrement futuriste réalisant la prouesse de montrer un monde plus que plaisant. Fichtre qu'on s'y sent bien ! C'est incontestablement réussie et là encore, sans jamais tombé dans le moindre cliché.
Le film offre aussi des moments très durs dans la pensée, dans la réflexion, et dans l'intensité. Vous l'aurez compris, cela vient moins du scénario, parfois trop léger justement, que du jeu des acteurs. Joaquin Phoenix offrant une performance incroyable. Son personnage est, en effet, très vide sur le papier. Ses caractérisations sont minimales et c'est presque volontaire tant l'acteur joue dans la nuance et dans les moindres détails pour construire un personnage attachant. Ne vous trompez pas, sans Joaquin Pheonix le film est creux, c'est lui qui le tient en proposant une performance d'une finesse qui n'a d'égale que sa réussite. Et le mieux, c'est que ça reste doux et délicat sans jamais s'imposer, quelque chose de rare à Hollywood.
Notons également l'incroyable talent de Scarlett Johansson dont la voix embrasse tout le film. Présente tout le long, son absence est aussi remarquable que sa présence. Sans jamais être visible elle est pourtant partout et gagne une puissance irréelle. On notera la toute puissance de certaines scènes uniquement par sa voix. Notons également que certains spectateurs ont eu un problème : la voix de Johansson étant reconnaissable, plusieurs personnes l'ont senti présentes et ne sont pas arrivées à pleinement la sentir dématérialisées comme elle aurait dû. Si ce ne fut pas mon cas, je le comprend facilement et voit là, effectivement, un défaut facilement évitable.


Pour sa bande-son, j'ai été assez peu séduit. Sans la détester je trouve qu'on a été dans la facilité de la mélancolie minimaliste qui embrasse trop souvent simplement l'image. Alors, c'est certes ce qu'on souhaite le plus souvent à la BO et, incontestablement, elle remplie parfaitement son rôle, mais j'aurai aimé plus de parti pris et plus de folie. Je pense que ça joue également au sentiment d'une ambiance longue et répétitive tout le long. Que ce soit l'ambiance visuelle ou sonore les deux se ressemblent par leur mélancolie et leurs longueurs. Ressemblance qui se retrouve dans les moments de joies car, croyez moi, il y a pas mal de moments de joie aussi.
Je ne parlerai pas davantage de l'esthétisme même du film et de sa photographie. Un grand écran de très bonne qualité m'aurait été dans mon avis mais j'ai le sentiment qu'ici c'est mon écran et non le film que je devrais critiquer. Je préfère me montrer humble et ne pas amener des critiques qui n'ont peut être pas lieu d'être.
Enfin pour ce qui est des plans, je regrette, là encore, un aspect trop lisse et un manque de parti pris. Je trouve que le film aurait gagné à surprend, à avoir une caméra plus vivante, plus embarquée. Incontestablement le film n'ose pas se lancer à la recherche d'un risque au niveau de la caméra. C'est bien dommage car typiquement plusieurs scènes aurait gagné à prendre ce genre de risque. Pour autant, aucun moment loupé. Pas plus dans le cadrage que dans le montage d'ailleurs, mais, simplement, on aurait aimé plus de risque.


Her est, finalement, un beau film qui manque peut être simplement de risque. Sa virtuosité et sa différence par rapport à une banale comédie romantique amène, légitimement, le spectateur a en demander plus. Le film, trop humble par rapport à ses possibilités, aurait gagné à prendre des risques que ce soit au niveau de la caméra, de la bande-son, du rythme ou, bien entendu, du propos. Il aurait gagné à se poser, à imposer peut être un message. Sa volonté douce et gentille n'est pas assez franche et l'introspection de Théodore aurait également peut être pu être plus forte qu'elle ne le fut. Par plusieurs aspects le film aurait donc gagné à aller plus loin car, c'est un fait, il en avait les moyens.


Puis, pour terminer, je n'ai pas aimé les dernières scènes (esquive de la question de l'adultère, lettre à Catherine, final sur le toit).

mavhoc
7
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le 18 janv. 2016

Critique lue 253 fois

mavhoc

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