Nouveau phénomène annoncé dans le giron du film d’horreur et de l’angoisse, Hérédité arrive par chez nous précédé d’une réputation d’œuvre déjà culte, du moins très réussie dans son champ d’action. Il faut bien sûr toujours se méfier de ces emballements critiques qui ont tendance à être tout aussi exaltés que le film décevant (la liste est longue), et qui généralement nuisent à celui-ci plutôt que le valoriser. Hérédité est donc bien une œuvre très réussie, brillante dans son style, certainement pas culte et se prenant d’inévitables retours de bâton dans la figure (trop long, ennuyeux, déjà vu, grotesque dans sa conclusion).


Drame familial sur le deuil, puis thriller psychologique, puis délire paranoïaque, puis histoire de maison hantée, de possession et de rituel qui aurait tout assimilé du meilleur de Polanski et de Nakata, le film parvient à raccorder ces différents genres dans un parfait mélange d’étrangeté diffuse et d’ambiance mortifère. Comme dans The witch et It comes at night (produits eux aussi par A24), c’est d’abord la désintégration inéluctable d’une famille entière (la mère, le père et les deux enfants) qui prévaut avant toute frénésie horrifique. L’effroi s’invite ici, au contraire, par détails, par petites touches, par effusions lentes (si l’on excepte le dernier quart d’heure où tout finit par s’emballer), et quand l’horreur surgit, elle déboule juste le temps qu’il faut pour marquer violemment les esprits ("l’accident" en voiture et la crise de Peter en classe sont, à ce titre, assez impressionnants).


Dans un crescendo soigneusement tenu jusqu’à ce final que l’on trouvera, au choix, réussi, bancal ou ridicule (et qui rappellera ceux de Rosemary’s baby et The witch), Ari Aster redéfinit les limites de l’enfer qui ne serait plus ces autres, mais la famille avec ses démons (littéralement) dans le placard, emprisonnée dans ses croyances et ses névroses, les miniatures fabriquées par Annie renvoyant à ce foyer comme pris à son propre piège, manipulé par une force extérieure qui le dépasse et qu’il ne peut contrôler. Avec son casting étrangement dissonant (Toni Collette exceptionnelle, Milly Shapiro flippante et, à l’inverse, Gabriel Byrne qui a l’air ailleurs et Alex Wolff agaçant), son remarquable travail sur le son (bourdonnement constant, bruits inquiétants, musique oppressante du saxophoniste Colin Stetson) et une mise en scène au cordeau, Hérédité, si tant est que l’on peut le classer dans cette catégorie-là, vient rappeler que tout bon film d’horreur (Alien, The thing, L’exorciste, Shining…) se construit d’abord de silences, de peurs ancestrales (le noir, le vide, l’autre…) et d’une normalité altérée.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
7
Écrit par

Créée

le 20 juin 2018

Critique lue 695 fois

11 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 695 fois

11

D'autres avis sur Hérédité

Hérédité
Sergent_Pepper
7

Home cheat home

De temps à autre, je retente une incursion du côté du cinéma d’horreur, dans lequel je loupe sûrement pas mal de choses depuis des années ; et force est de constater que de cette pléthorique...

le 20 oct. 2018

89 j'aime

11

Hérédité
EricDebarnot
6

The Cult

Le cinéma fantastique semble être devenu depuis quelques années le terrain d'expérimentation de jeunes metteurs en scène ambitieux, qui aspirent à conjuguer une vraie intelligence de la mise en scène...

le 24 juin 2018

80 j'aime

14

Hérédité
Theloma
7

Où est Charlie ?

A l'image des deux superbes plans qui ouvrent et clôturent le film, Hérédité joue avec différents niveaux de réalité. Au début nous sommes en terrain rassurant : une belle maison, une petite...

le 13 juin 2018

43 j'aime

11

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

156 j'aime

13