Situé dans cette nouvelle mouvance d'un cinéma d'horreur un peu plus arty, initiée par It Follows puis suivie par The Witch et It Comes at Night, Hereditary s'imprègne de son style si particulier et s'intègre aussi dans une cellule familiale en crise. Car ces films ont plusieurs objectifs, en premier lieu se servir de l'horreur comme symbolique à un drame plus personnel, créer une ambiance et une atmosphère pesante plutôt que succomber à la facilité du jumpscare et de l'horreur frénétique mais aussi de réinventer un genre de l'horreur. It Follows était une réappropriation brillante des codes du Slasher, The Witch lui manquait un peu le coche autour du mythe de la sorcière restant au final trop classique dans son récit et quand bien même si il était imparfait dans ses effets horrifiques It Comes at Night était une vision remaniée et intéressante du home invasion. Hereditary lui, s'intéresse à la possession et en livre une version originale à travers le prisme d'un drame familial. La famille qui semble souvent être le cœur de cette mouvance horrifique (même It Follows qui devenait pesant et voulait dire quelque chose par son absence) mais aussi un sujet de prédilection pour Ari Aster.


Jeune cinéaste qui fait ici ses débuts dans le long métrage mais qui a su offrir par le passé des court-métrages de qualité comme son marquant et glaçant The Strange Thing About the Johnsons qui étudiait aussi l'horreur au sein d'une famille. Il y a toujours un monstre qui se cache dans chaque famille et le plus dur n'est pas souvent de l'identifier mais d'agir en conséquence, comment se retourner contre sa chair et son sang ? Mais ici, le "monstre" familial décède avant même le film et c'est son enterrement qui servira de point d'entrée au récit pour constater l'héritage qu'il laisse car comme le titre le dit clairement, il s'agit d'une histoire d'hérédité. Le mal est-il héréditaire ? Non, même si en le laissant agir cela aura des répercussions, le film s'intéresse à une forme bien plus sinueuse d'hérédité. La mise en scène vient à avoir un rôle primordial dans l'exécution du propos car elle ne sert pas qu'à créer des effets horrifiques mais bien d'accompagner toute la partie symbolique de son récit. C'est peut-être d'ailleurs un des gros reproches qu'on pourra faire au film, celui de trop travailler ses effets symboliques, la mère qui construit des maquettes, mais aussi horrifique, le claquement de langue de la fille qui deviendra un effet de peur trop récurrent et évident. Cela lui donne une forme un peu trop arrangée, bien que somptueuse, mais aussi le fait sacrifier parfois la logique narrative pour le seul but de la logique symbolique.


Car beaucoup finiront le récit avec un sentiment qui se résume à "tout ça pour ça ?" et qui peuvent sincèrement s'interroger sur l'utilité des actions de certains personnages. Même si le film s'intéresse souvent à l'irrationnel et le fanatisme, on reste face à une conclusion qui s'explique mieux à travers la symbolique que le pur intérêt narratif. Parce qu'Hereditary va parler de l'étouffement de la cellule familial et de comment celle-ci affecte la vie de ses membres à travers l'impossibilité de devenir sa propre personne. Un individu est la somme de diverses influences et ces influences commencent dès l'enfance à travers les parents, voire les grand parents qui ont eu même influencés les parents et ainsi de suite. L'hérédité du film vient de là, de l'incapacité de s'extraire de l'influence de ses pairs et de les transmettre à son tour. Il arrivera souvent dans la vie qu'on soit comparé à ses aînés quand bien même on essaye de s'en émanciper et parfois même c'est en essayant le plus de ne pas leur ressembler qu'on finit par devenir comme eux. C'est ici le cas de la mère de famille, qui aura tout fait pour ne pas être comme sa mère à elle et qui finit par réaliser ne pas être si différente. Mais c'est aussi le cas de Charlie la petite fille, condamnée à être ce que sa grand-mère aura décidé de faire d'elle.


L'apathie de la famille est donc au cœur du récit, surtout celle des mâles, qui reste inactifs face à la menace grandissante qui règne sous leur toit tandis que la frénésie dégagée par la mère pour l'empêcher devient vaine. Hereditary se sert de la symbolique des maquettes et cite le mythe d'Iphigénie, jeune fille victime de la malédiction de ses parents, pour montrer les personnages comme des marionnettes dans une machination qui les dépasse. On tire sur leur ficelle et ils s'exécutent dans ce grand bain qu'est la vie. La possession ne devient plus démoniaque mais spirituelle. On ne peut pas échapper à ses influences car elles font partie de nous et il y aura toujours quelqu'un pour nous le rappeler ou nous les faire exécuter car ainsi va la vie. Et grâce à la mise en scène ingénieuse d'Ari Aster, et sa réalisation millimétrée on observe cette histoire avec un point de vue neutre, témoin passif de la déchéance de cette famille comme on regarderait l'élaboration d'une maquette. Il arrive même à livrer des scènes absolument dantesques par leur effroi qui choque plus par leur calme apparent que par l'utilisation d'un quelconque jumpscares. Les effets horrifiques sont toujours intelligents, que ce soit dans une transition imprévue ou d'habiles jeux de lumières mais jamais ils ne cèdent à la facilité. Même lors de l'escalade finale qui offre un dernier acte totalement fou mais qui favorise toujours l'ambiance et les plans longs pour s'imprégner de l'atmosphère.


Au final, les enjeux dramatiques seront assez minces car ils nous sont présentés au même titre que la famille comme des éléments invariables. On reste des témoins extérieurs et on observe une famille déjà en train d'imploser dans des événements qui ont déjà été joués d'avance et c'est dans cette impuissance qu'Hereditary puise toute la force de son horreur. Servi en plus par un casting impliqué à commencer par une Toni Collette totalement habitée par son rôle et qui excelle dans tout ses aspects. Mais la vraie révélation est ici Alex Wolff, brillant en fils victime de son cercle familial et qui se noie dans sa propre apathie et l'incapacité de s'affirmer par lui-même. Il en devient le parfait représentant de son cercle familial. Le film s'achevant donc sur un couronnement, celui d'une vie menée à bien et qui devient enfin ce qu'elle est supposé être. Un enfant qui entre dans l'âge adulte assumant ses influences familiales, un véhicule involontaire mais obligé d'un mal permanent, celui de l'hérédité. Un homme qui devient ce qu'il doit être selon la somme de ce qui l'a constitué, une chose aussi terrifiante qu'inévitable. Car il n'y a rien de plus terrifiant que de ce rendre compte que l'on est pas totalement le maître de son existence et qu'on sera toujours la victime d'influences extérieurs.


Hereditary est un film sans doute un peu trop bien pensé et maîtrisé pour son propre bien, à l'image des personnages on est des marionnettes entre les mains de son auteur. Ari Aster nous fait par moments subir son propos malgré nous et le rend donc un peu trop cryptique en raison d'une narration qu'il délaisse au profit de sa symbolique. La famille en devient donc un peu trop mécanique pour que l'on s'y attache vraiment et l'horreur est parfois trop appuyé pour ne pas paraître factice. Et donc même si il loupe légèrement le coche de l'objet émotionnel, Hereditary est souvent un objet intellectuel fascinant et qui arrive à délivrer des séquences chocs mémorables et brillantes qui créent un véritable effroi. Tout cela en plus, au milieu d'un propos universel qui se montre d'autant plus terrifiant dans la vérité qu'il touche du doigt. Ari Aster signe donc un premier essai pas à la hauteur du chef d'oeuvre vendu par certains, mais qui impressionne par sa richesse et son intelligence et qui reste donc un des films d'horreurs les plus mémorables de son époque. Dans cette mouvance arty, il est même celui qui fait le plus honneur à l'impressionnant It Follows.

Frédéric_Perrinot
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le 19 juin 2018

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Flaw 70

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