Propulsé sur la scène internationale grâce à son précédent long métrage, « Les Merveilles » – grand prix à Cannes en 2014 remis des mains de Jane « on a compris que Mommy n’était pas un putain de chez d’œuvre pour toi » Campion – , Alice Rohrwacher continue à explorer ses thématiques de prédilection. Ainsi, « Heureux comme Lazzaro » traite de religion, de la nature, d’injustices, de la vie paysanne et de la situation politico-sociale de l’Italie.


Le Lazzaro du titre est un jeune paysan servile et très benêt. L’expression « trop bon, trop con » lui va comme un gant et ses compagnons d’infortune l’ont bien compris. Dans le domaine agricole dirigé de main de fer par la marquise Alfonsina de Luna, il est souvent pris comme tête de turc et de ce fait, mis à l’écart de ses congénères. L’arrivée du fils de la notable dans ce microcosme d’un autre temps va changer un peu la donne. Si les trente premières minutes de film donnent l’impression de voir une relecture sauce Pagnol de « L’Arbre aux sabots » , Alice Rohrwacher va utiliser le rapprochement des deux jeunes hommes pour amener progressivement le spectateur vers le conte fantastique. La bascule va se produire lors d’un double twist plutôt malin qui va transporter Lazzaro dans une espèce de cour des miracles urbaine.


Dès lors, « Heureux comme Lazzaro » trouve son équilibre entre critique sociale de l’Italie des années 2010 et récit merveilleux quasi christique d’un jeune martyr qui va se retrouver confronté à la cruauté du monde qui l’entoure. Pas toujours très fin dans ses symboliques religieuses et ne s’épargnant pas quelques grosses ficelles, le scénario tient, malgré tout, assez bien la route grâce à son mélange des genres astucieux, son discours affranchi de quelques clichés attendus et surtout, l’écriture de ses personnages. Celui de Lazzaro s’affine au fur et à mesure qu’avance le récit tandis que les seconds couteaux qui gravitent autour de lui sont plutôt bien esquissés. Prix du scénario cette année à Cannes ( ex-aequo avec 3 Visages), le jury de Cate Blanchett n’a pas récompensé une leçon d’écriture mais l’obtention de cette récompense est loin d’être imméritée.


Sur la forme, le film d’Alice Rohrwacher est plutôt atypique. Tourné en super 16 et adoptant une esthétique granuleuse, pour ne pas dire sale, « Heureux comme Lazzaro » déstabilisera les spectateurs à la recherche d’images sans aspérités. Pour autant, il serait dommage de s’arrêter à ce parti pris artistique osé pour passer à côté du charme qui s’en dégage. Certains plans sont empreints d’une grande poésie et restent gravés dans la tête du spectateur quelques heures après la séance. Si on ajoute à ça un casting sacrement bien choisi et dirigé, composé à la fois de nouvelles têtes (le jeune Adriano Tardiolo est excellent dans le rôle-titre) et d’acteurs plus confirmés (Alba Rohrwacher, Nicoletta Braschi et Sergi López sont impériaux), « Heureux comme Lazzaro » s’affirme comme un joli objet filmique, imparfait mais terriblement attachant.

Cinématogrill
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le 18 nov. 2018

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