HEUREUX COMME LAZZARO (13,5) (Alice Rohrwacher, ITA, 2018, 127min) :


Alice Rohrwacher nous propose avec Heureux comme Lazzaro un envoûtant conte magique et un film politique bancal sur le pouvoir des classes, à travers la trajectoire d'un ange en tricot, qui va y laisser sa peau...


Cette déroutante fable sociale narre l'histoire d'un jeune héros Candide, un «esclave» au grand cœur jamais malveillant, qui vit chichement dans le hameau rural d'Inviolata, à l'écart du monde, mais où la marquise Alfonsina de Luna règne en exploitant ces familles paysannes. Ce long métrage présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2018 (récompensé par le Prix du scénario), commence comme un conte médiéval où l'on découvre de façon néoréaliste le quotidien de ces familles d'agriculteurs exploités et serviles sous le régime dictatoriale de la propriétaire des terres, qui par l'entremise de son mari vient récupérer sa "dîme" contemporaine et compter les dettes.


L'intrigue découpée en deux segments scénaristiques distincts, débute par une folklorique chanson italienne éternelle, pour ancrer l'histoire de manière atemporelle et mieux introduire ainsi les séquences suivantes développant le quotidien miséreux de familles agricoles, en convoquant nos souvenirs cinéphiles du remarquable L'arbre aux sabots (1978) de Ermanno Olmi. La mise en scène s'imprègne dans la première partie de néoréalisme pour décliner jusqu'à un abrupt événement accidentel, l'évolution de Lazzaro qui se lie d'amitié avec Tancredi, fils rebelle de la marquise, et les conditions misérables des ruraux sous le joug du honteux servage. La seconde partie immerge la suite du récit mystique aux frontières du fantastique dans une nouvelle temporalité, par le biais de lyriques séquences irrationnelles et surréalistes qui accompagnent notre héros éternellement jeune, entre les animaux et les hommes, vers un monde moderne toujours aussi violent envers les nécessiteux.


La brillante réalisatrice appuie malheureusement trop sa longue déconstruction narrative en forme de parabole allégorique contre le pouvoir de l'argent, les inégalités, l'injustice, la société de consommation et les diverses dominations intemporelles, de manière abusivement surlignée, en utilisant trop fréquemment des symboles mythologiques. Néanmoins la trajectoire compassionnelle et divine de ce naïf généreux séduit régulièrement lors de magnifiques séquences visuellement gracieuses, où le cinéma d'Alice Rohrwacher libère une poésie merveilleuse qui touche à nos âmes bienveillantes, rêvant un monde plus empathique envers la charité. Cette œuvre sincère évoque les accents contestataires des maîtres cinématographes italiens Pier Paolo Pasolini, notamment l'esprit de Salò ou les 120 journées de Sodome (1976), et l'essence des films des frères Paolo et Vittorio Taviani, pour dénoncer la brutalité du monde en tous temps.


Venez accompagner ce tendre Lazzaro (référence au mythe de Lazare de Béthanie, ami de Jésus Christ ressuscité) au regard juvénile, dans ce chemin de foi cruel en la bonté de l'homme au milieu des loups, au sein de Heureux comme Lazzaro. Sensible. Pessimiste. Mystérieux. Universel.

seb2046
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le 8 nov. 2018

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