Hi, Mom !
6.3
Hi, Mom !

Film de Brian De Palma (1970)

Hi, Mom ! est film instructif pour qui s’intéresse à la filmographie de Brian de Palma et Robert de Niro. Nonobstant le fait qu'il nous permette de comprendre l'évolution de ces deux légendes du cinéma, le film soulève certaines questions sur le medium cinématographique et la place du spectateur ainsi que le lien entre cinéma et théâtre.

Nous suivons le parcours d'un jeune vétéran du Viêt-Nam (Robert De Niro), revenu à New York et souhaitant vendre des films voyeuristes de ses voisins à un producteur pornographique.
A grands renforts de séquences accélérées (pour figurer le passage du temps) ou ralenties (pour signifier une hallucination ou un état psychologique), que l'on retrouve déjà en abondance dans ses réalisations antérieurs comme The Wedding Party, puis plus tard dans Scareface, De Palma nous donne à voir le fourmillement intime à l'oeuvre dans l'immeuble scruté par le personnage de De Niro. Sans dialogue, l'image suffit à nous faire deviner les différentes personnalités des protagonistes épiés et à nous y attacher, ou nous amène parfois à nous amuser de situations rendues loufoques par notre position de spectateur extérieur.
De Niro, d'abord observateur passif, finit par comprendre que l'un de ses sujets est une jeune femme frustrée par son célibat. Il se décide alors à devenir acteur de ses propres films et de passer de l'autre côté de la caméra en tentant de la séduire dans le but de se filmer à distance en train de coucher avec elle.

Si le postulat de base nous montre bien l'attachement du réalisateur à Fenêtre sur Cour d’Alfred Hitchcock (Hitcock sera d'ailleurs cité dans plusieurs autres films tel qu'au début de Blow Out), le film diverge rapidement vers ce qui était de prime abord sa toile de fond, à savoir les revendications sociales pour les droits des afro-américains dans ces années là.
Ce brusque changement d'angle, s'il déroute (volontairement) le spectateur, s'explique par le travail antérieur de De Palma. En effet, un mois plus tôt la même année, De Palma sort Dionysus in '69, un documentaire filmant entièrement une pièce de théâtre sous deux angles différents (l'un se focalisant sur ce qu'il se passe sur scène, l'autre sur le public et ses réactions). Dionysus in '69 interrogeait alors l'importance de la place du spectateur (passif ou actif) vis à vis de la scène, ainsi que le rôle, pour celui-ci, du cinéma vis à vis du théâtre : en faisant des choix de plans de caméra, le réalisateur de cinéma agrandit ou rétrécie la focale, ne laisse volontairement visible qu'une partie de l'action là où le spectateur de théâtre voit l'ensemble du plateau.

On retrouve ici une logique similaire dans la 3ème séquence du film, où De Palma, caméra à l'épaule nous plonge au cœur de l'action, à la place d'une des personnes assistant à la performance théâtrale. Notons que le réalisateur prendra plus tard l'habitude de cette pratique consistant à placer le spectateur dans la peau d'un des protagonistes (souvent prêt à commettre un acte monstrueux, comme dans la scène introductive de Blow Out ou dans Outrages lorsque les militaires américains enlèvent sous couvert de la nuit la villageoise vietnamienne, ou encore dans Phantom of the paradise). Par ce procédé De Palma amène le spectateur à s'impliquer moralement et émotionnellement dans la scène, le forçant à adopter un point de vue subjectif, et à le transformer malgré lui en acteur voyeur, le sortant alors de son rôle passif extérieur et détaché.

Lors de la performance, la situation dégénère, les réactions sont vives, ce que nous ne voyons pas nous le devinons à travers les cris et les bruits. Ce procédé est pensé pour que le spectateur du film se mette à la place du spectateur de la pièce, maintenu dans l'ignorance, ne sachant ce qu'il se trame en coulisses, subissant et impuissant, pour que l'expérience vécue n'en soit que plus authentique.
La 3ème séquence (qui n'est pas sans rappeler par sa crudité C'est arrivé près de chez vous), reprend donc les question posées au début du film à propos du cinéma pornographique : cette performance est-elle de l'art ? L'art implique-il la participation active de celui qui le reçoit ? L'expérience brute vécue par une personne impliquée physiquement (sexe dans les deux premières parties, assister in situ à la performance dans la 3ème) équivaut-elle à l'expérience vécue par le spectateur extérieur et transmise par le médium artistique qui la diffuse (ici filmer l'acte sexuel et le diffuser dans un cinéma porno, filmer la pièce de théâtre que nous réceptionnons à travers ce film) ? Et si non, par quels procédés simuler la présence physique dans le film du spectateur extérieur ? En résumé comment rendre l'art plus impliquant et quelles peuvent en être les conséquences sur la perception de la réalité ?

De Palma achève de brouiller nos repère dans la 4ème partie où De Niro, auparavant acteur de la pièce de théâtre, se retrouve finalement, au même titre que le spectateur, à regarder la télévision (qu'il a achetée en revendant sa caméra, acte symbolique). S'y déroule un film où les protagonistes de la précédente pièce de théâtre se font descendre un par un, sans que l'on sache bien si cela relève de la fiction ou de la réalité.

Enfin, dans la partie finale, une séquence de dialogue entre De Niro et sa compagne insiste sur le fait que cette dernière a finit par s'attacher aux personnages de sa série préférée comme s'ils étaient de vrais amis. Alors que De Niro est lui-même obligé de jouer un rôle auprès d'elle, il finit par fuir cette nouvelle réalité falsifiée en faisant exploser de manière presque cartoonesque la laverie dans laquelle il se rendait. Si l'explication finale du psychiatre interrogé par le journaliste laisse entendre que certaines personnes peuvent confondre réalité et fiction et être influencés par la violence vue à la télévision, De Niro finit par intervenir pour nous dire que la réalité de la guerre est bien suffisante pour fausser les repères face aux normes (qu'elles soient morales ou sociales). On retrouvera d'ailleurs cette thématique de la déchéance de l'humanité, de la monstruosité pouvant surgir des individus confrontés à la violence et au pouvoir, abordée et plus développée dans certains de ses films ultérieurs tel que Outrages ou Scarface.

Conclusion
Si les différentes parties du film abordent beaucoup d'excellents thèmes, la logique qui les relie reste assez floue, donnant à l'ensemble un aspect de patchwork rapiécé. On aurait aimé que Brian De Palma se concentre sur un aspect en particulier et développe par exemple son propos premier sur la perversité du personnage de De Niro, prêt à mentir à une femme et à la séduire pour capter à son insu un moment d'intimité (on retrouvera cependant la thématique du voyeurisme dans ses œuvres futures, à l'instar de son film biographique Home Movies ). Et lorsque l'on voit la séquence où ce dernier répète seul pour un rôle de policier, on ne peut s’empêcher de penser à ce que sera son improvisation culte face au miroir dans Taxi Driver ("You talkin' to me ?").
Le film contient cependant tous les éléments qui ont traversés et traverseront le cinéma de De Palma, que ce soit les problématiques développées ou les procédés cinématographiques utilisés pour les aborder. Il constitue en ce sens un excellent témoignage de l'évolution du cinéaste et donne de précieuses clés de lecture pour sa filmographie.

FunkyBatou
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le 9 avr. 2020

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