Tchemy affirme à Monte se trouver là pour « transformer l’humiliation en gloire » et offrir la meilleure vie possible à sa famille. Ses termes sont importants pour appréhender la démarche de la cinéaste : il s’agit d’une conversion de type alchimique au terme de laquelle la boue devient or, l’ordure se recycle, la laideur accède à la beauté. High Life s’interroge ainsi sur la propension du sublime à naître d’un microcosme impropre à le recevoir, comme greffé à lui et qui seul maintient la fascination de l’homme devant le spectacle de la nature (et de sa nature à lui).


Le vaisseau spatial est un corps fait de corps épars, comme eux il se réduit à des fonctions organiques et mécaniques, comme eux il parcourt l’espace sans but véritable, sinon le trou noir, c’est-à-dire l’anéantissement. Et ce spectacle auquel assiste l’humain est celui de la matière qui absorbe tout, de la même manière que les pieds de Tchemy s’enfoncent dans la terre du jardinet intérieur. Les corps vont et viennent, on récolte leurs fluides, on les féconde pendant leur sommeil, violés et réduits à leur désir primaire, ce désir tout-puissant qui les pousse à faire route vers le trou. La seule finalité de la condition humaine réside dans la reproduction, la rencontre entre un phallus plein de semence et un vagin ouvrant sur l’utérus, région de l’univers défini par son mystère et sa totalité.


Claire Denis orchestre ainsi un combat entre stérilité et fertilité : ou comment les êtres humains, en dépit de leur condition sinistre et stérile, ne peuvent s’empêcher d’étendre leur colonisation et d’affirmer leur fertilité alors même que celle-ci n’a pas de sens, qu’elle est destinée à mourir, se reproduire et mourir. Les personnages sont des spectres qui errent dans un vaisseau microcosmique : ils ne dépendent d’aucune hiérarchie véritable, ne disposent d’aucune profondeur, non, ce sont des automates réduits à appliquer une série de gestes, à exhiber ce fond de bestialité (la tentative de viol, les accès de colère) commun à tous les hommes. À ce titre, le personnage campé à la perfection par Robert Pattinson est lunaire, n’a d’humain que ce qui le relie à son enfant ; preuve que ce n’est qu’en donnant la vie après l’avoir lui-même reçue que l’humain se définit et organise son existence.


Avec High Life, Claire Denis poursuit l’appropriation de l’espace par un certain cinéma à tendance philosophique : après Interstellar et First Man, avant Ad Astra et Proxima, la cinéaste pense l’espace comme un territoire fantasmatique et obsessionnel – en témoignent les nombreux plans qui fétichisent objets ou perspectives, une échelle vue de haut, le jardin rappelant l’Éden etc. – qui cristallise la solitude profonde de l’être au monde et la malédiction congénitale de sa reproduction.

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le 22 avr. 2020

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