Il n’est pas facile à voir, ce Hollywood Boulevard. Pourtant, il s’agit d’un film incroyable et surtout hilarant, qu’on peut considérer comme le premier vrai long-métrage de Joe Dante en tant que réalisateur. En effet, The Movie Orgy (qui porte bien son nom), techniquement sa première œuvre, constitue plus un mash-up géant et délirant, un fantasme de monteur cinéphile. C’est d’ailleurs après cette expérience que le désormais très respecté cinéaste se fait engager par Roger Corman, producteur culte qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Ensemble, ils vont accoucher de cet objet inclassable et fou.


Quand on réalise un film chez Corman, une seule question se pose : Comment en faire le plus possible avec un budget dérisoire ? Monteur de formation, Dante y répond avec un certain génie : il met en scène une boite de prod’ de série B (ou Z ?) qui cherche elle-même à faire du cinoche à très peu de frais. Ce qui est fort, c’est que ce postulat carrément méta lui permet de réutiliser des plans d’autres long-métrages d’exploitation pour limiter les dépenses. La technique est imparable : le champ nous montre l’équipe de tournage en pleine action, le contre-champ une scène de baston improbable tirée d’un Rambo-like au rabais. Certes, c’est loin d’être la première fois que ce genre de film réutilise des stock-shots, des rushs, voire des pans entiers d’autres œuvres. Toutefois ici, l’astuce permet à Hollywood Boulevard de se démarquer de ses congénères et à dépasser son statut de divertissement opportuniste.


En réalité, on pourrait presque le comparer à Scream, qui sortira vingt ans plus tard. Wes Craven et Joe Dante jouent tous deux sur les codes du genre auquel ils s’attaquent pour mieux les remettre en question, non sans humour et dérision bien sûr. La société de production « Miracle Pictures » (« si c’est un bon film, c’est un miracle ») ressemble étrangement à celle de Corman : l’économie fait la loi, le voyeurisme est roi et les plateaux sont de joyeux bordels. Mais pas d’ingratitude ni de mépris de la part du cinéaste : Hollywood Boulevard est aussi une ode au petit monde de la série B, univers on-ne-peut plus attachant blindé d’egos surdimensionnés et d’amourettes éphémères.


Le mal, il vient plutôt d’un système hollywoodien impitoyable, qui berce les jeunes filles d’illusions pour ensuite mieux les rejeter. Le papa des Gremlins dépeint mine de rien une réalité qu’il ne connait alors pas totalement grâce à un humour noir ravageur qui traverse le long-métrage de part en part. Pour lui, les « Miracle Pictures » et consorts, son écurie, malgré leur instabilité et leur image peu flatteuse sont les seuls à recueillir avec une humanité relative ces marginaux d’Hollywood, ceux à qui on a brisé les rêves de gloire.


Chef-d’œuvre d’auto-dérision et de satire, Hollywood Boulevard s’amuse de l’image qu’on se fait généralement du cinéma d’exploitation, un cinéma bien plus intelligent qu’il en a l’air, en dépit de l’omniprésence des plans-nichons. Dante met en scène les contraintes auxquelles il est lui-même soumis pour mieux s’en moquer. Le procédé n’est pas totalement inoffensif : « Miracle Pictures », c’est l’ultime dégénérescence d’une industrie qui se drape dans un élitisme factice et cruel. Mais finalement, c’est aussi le plus humain des microcosmes qui composent le magma hollywoodien. Il n’est pas question de dissimuler les mécaniques financières moralement douteuses qui interviennent dans ce genre de projet, mais de les afficher avec humour. Les blockbusters maintes fois imités sont-ils réellement différents ? L’homme qui a par la suite réinventé le divertissement grand public ne le dit pas, il n’en a alors pas les moyens.

Jabo
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le 31 mars 2017

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