Treize ans après le superbe et incompris Pola X Leos Carax nous livre son cinquième long métrage de cinéma : un Holy Motors pour le moins déconcertant, sorte de pot-pourri artistique présenté sous la forme d'un long et ( très ) inégal film à sketches.
24 heures de la vie d'un transformiste Holy Motors reste avant tout une véritable performance de la part de l'acteur fétiche de Carax : Denis Lavant. Polyvalent et particulièrement impliqué dans ce vaste geste créateur l'acteur-saltimbanque décline le personnage d'Oscar en une dizaine de figures plus ou moins typiques, chacune appartenant à un éventuel genre cinématographique : malfrat, grabataire, rebut ou simple père de famille l'acteur traverse les genres comme autant de vignettes. On pense d'ailleurs beaucoup à la bande-dessinée de Hergé, de l'antichambre narrative initiale évoquant Tintin au Congo aux noms d'oiseaux proférés par Edith Scob, directement empruntés au Capitaine Haddock... La référence au dessinateur belge n'est d'ailleurs pas une nouveauté chez Leos Carax, puisque le cinéaste le citait déjà explicitement dans Boy Meets Girl et dans Mauvais Sang.
Certains sketches fonctionnent mieux que d'autres, notamment le segment dans lequel Carax reprend le personnage de Merde de son court métrage réalisé pour le collectif Tokyo! : certains plans sont alors à ravir et justifient presque à eux seuls le visionnage de Holy Motors ( on retiendra un plan de demi-ensemble proche de la peinture à l'huile, avec une Eva Mendes sculpturale et un Denis Lavant satyre et mis à nu...) ; l'entracte reste certainement le point d'orgue du programme, véritable moment d'euphorie nivelant le métrage vers le haut.
Hélas les ficelles grossièrement visibles empêchent l'émotion de s'installer pleinement, la faute sans doute à une structure narrative trop guindée, trop compassée. On remarque forcément le dispositif exposé par Leos Carax, tant est si bien que beaucoup d'éléments sonnent faux, aux yeux comme aux oreilles. Ainsi le passage purement visuel, très infographique rassemblant Denis Lavant et un mannequin vêtu de cuir rouge reste assez déroutant, moins parce qu'il est gratuit que parce qu'il dénote avec l'ensemble des autres séquences. Par ailleurs la chanson chantée par Kylie Minogue à la fin reste objectivement très empruntée, malgré son efficacité certaine... Quant aux transitions elles demeurent parfois proche du systématisme, à l'image de cette brève apparition de Piccoli complètement injustifiée.
Holy Motors reste un film de pur cinéma, moins authentique qu'il n'y paraît dans sa manière lourde et sentencieuse de vouloir mettre en abyme le Septième Art mais suffisamment brillant pour susciter ne serait-ce qu'un soupçon d'adhésion. Tout ceci reste très bien filmé, joliment photographié par l'illustre Caroline Champetier et surtout remarquablement incarné par Denis Lavant. Nous restons toutefois loin de l'excellence des Amants du Pont-Neuf ou de Pola X. A voir au moins une fois pour se forger sa propre opinion.