Révélation : je suis un spectateur profondément rationnel. Un lecteur tout aussi rationnel. La lecture de La Métamorphose de Kafka ou de La Fin Des Temps de Murakami, la vision de Mulholland Drive me font donc passer des moments très difficiles. Chaque portion de terre ferme à laquelle je me rattache finit toujours par se dérober sous mes pieds et je m'enfonce dans des remises en question sans fin. De ce fait en sortant de la salle de cinéma après Holy Motors je suis passé par des phases WTF entre deux moments où les choses étaient un peu plus claires...

Holy Motors entraîne le spectateur dans un voyage en limousine à travers Paris, tantôt ultraréel, tantôt fantasmé, tantôt surréaliste. On y suit M. Oscar jouant 10 rôles tous différents sans jamais comprendre s'il est acteur, s'il y a une explication ou comment cela va finir.

J'aurais pu m'arrêter là et me dire comme ma voisine au moment du générique « j'ai rien compris ». Sauf que Leos Carax sème des morceaux d'explication pour nous livrer un film dense, complexe et complet sur la condition d'acteur.

« Les caméras sont plus petites que nos têtes ». On est bien ici face à un acteur. Des rôles, des scénarios, des masques, des scènes de cinéma, avec d'autres acteurs. De la violence, de l'émotion, du fantastique. M. Oscar flotte de rôle en rôle. Tantôt assassin, tantôt assassiné, tueur puis victime, banal puis irréel. Une vraie promenade. Et il y a ces rôles troublants où la fiction prend un arrière-goût de réel. Sans être acteurs, nous jouons parfois un rôle, tel ce père qui parle à sa fille dans la voiture.

Alors qui est Oscar ? Immanquablement, la confusion entre le rôle et la réalité finit par s'installer. Bien malin celui qui sait répondre à sa question tant l'acteur se grimme, se maquille, se camoufle, entre deux rôles. Vieilli, rajeuni, enlaidi, qui peut dire avec certitude qu'il a vu son vrai visage ?

Chaque scène mérite un revisionnage; chaque scène mérite plusieurs lectures, plusieurs angles d'attaque car Holy Motors bourdonne de symbolique.

On pourra dire que cette critique est un peu déstructurée. Un peu comme le film, qui saute de rôle en rôle sans lien évident et qui joue sur différents registres (humour, tragédie). Mais à tout moment on ressent le plaisir du réalisateur. Et pour cause, un acteur et 10 rôles c'est l'occasion de tourner 10 scènes de rêve, l'opportunité de livrer un film graphique, réaliste, violent, gai, fantastique, musical. Bien joué... L'occasion de jouer et de se payer quelques fantasmes aussi, tels cette scène de motion capture ultra-stylisée.

Film-OVNI, Holy Motors intrigue pendant, avant et après. Sans début, sans fin, sans but il constitue néanmoins une réflexion sur l'acteur et sa condition. Sur l'homme et sa condition d'acteur.
Crocodile
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le 10 juil. 2012

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