Home, selon moi, est un bon exemple du film potentiellement intéressant, construit sur une idée de base assez bonne et novatrice, mais qui s'essouffle rapidement.
Cette idée de base, c'est de faire se télescoper deux protagonistes : une famille marginale qui s'éteint (non sans beauté et sans poser implicitement aux spectateurs des questionnements intéressants) et une autoroute qui reprend vie. La seconde au détriment de la première. Pour cette famille, et surtout pour la mère interprétée par Isabelle Huppert, il ne peut être question d'abandonner la maison qui longe l'autoroute, et de déménager à nouveau. Dès lors, le mot d'ordre sera: adaptation. Lutte contre le bruit, lutte contre la chaleur, lutte et enlisement. Chaque membre de la famille se révèle et réagit aussi à sa manière : le père tour à tout tente d'aménager la maison, veut partir, entre dans une rage démente ; la mère s'accroche à cette maison qui est sa vie ; la grande sœur continue de bronzer au bord de la route, sans rien changer à ses habitudes, attendant de prendre elle aussi la route ; la cadette se fait scientifique et parano, mesurant scrupuleusement le trafic et ses conséquences sanitaires ; le benjamin, enfin, tente en vain de continuer à jouer. Mais inexorablement la route se réveille, et la famille s'endort jusqu'à toiser la mort. Mais un dernier souffle de vie, insufflé par la mère, sort tout ce monde clos sur lui-même de sa torpeur.
Voilà pour l'idée de base et le résumé de l'histoire. Mais qu'est-ce que la réalisatrice veut donner à voir, à penser, à questionner ? Le thème phare est sans doute celui de l'enfermement, en tout cas c'est comme cela que je comprends le film. Pour aborder ce thème, il semble que le cadre d'une prison par exemple est tout suggéré. A partir de là, il serait facile d'interroger les modalités d'adaptation et de montrer pourquoi pas l'intériorisation de la marginalité et l'enfermement psychique. Or la réalisatrice choisit le cadre d'une autoroute, et ce n'est évidemment ni anodin ni inintéressant. Elle peut alors aborder le thème de la marginalité et de l'enfermement sur soi en déplaçant la focale : ici, on choisit sa prison. Certes, la famille n'y est pour rien dans la réouverture de l'autoroute, mais non seulement il est suggéré que la famille a choisi délibérément d'habiter ici, et de plus c'est bien elle qui fera le choix de rester. De plus, la route évoque nécessairement la mobilité, la vitesse, l'ailleurs, dévoilant ainsi nettement et par contraste l'immobilisme de ceux qui restent à son bord. C'est en tout cas une interprétation possible, parce que d'aucuns pourraient préférer voir, en définitive (et surtout avec la fin du film) non pas l'immobilité mais la résistance et l'adaptation d'une famille qui se bat pour son « chez soi ». On peut d'ailleurs croiser les interprétations, puisque si l'on ne voit que l'immobilisme, on donne alors seulement raison aux conducteurs qui passent sur l'autoroute et ne voient qu'une fraction de seconde de la maison. Or le film fournit l'épaisseur de l'énergie qui soutient cette maison.
Au travers de cette route et de l'histoire proposée, on peut peut-être aller plus loin encore, et interroger les situations où chacun de nous est tantôt la route-norme des autres, tantôt sur le bas-côté. On interroge alors respectivement le regard que nous portons sur les marginaux, et nos modalités de réaction lorsque nous sommes sur le bas-côté. Et si cette marge est consciente et assumée, jusqu'à quel degré d' « inconfortable » jugeons-nous légitime de la porter ?
Et en même temps, ce film ne m'a pas embarqué et je me suis rapidement ennuyé. J'adore Isabelle Huppert, mais je l'ai trouvée bien desservie par son rôle. Je trouve d'ailleurs tous les personnages assez fades et manquant de relief psychologique. En bref, si cette fable est quand même originale, je passe à côté, je ne suis pas charmé et embarqué par la famille, je ne m'amuse pas de ses stratagèmes loufoques pour continuer à vivre.

Kevin-1677
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le 7 mars 2018

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Kevin-1677

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