De belles choses pour un ensemble bancal qui questionne

Hors Normes relate le quotidien de deux associations s'occupant de personnes autistes "lourdes" n'ayant pu être prises en charge par les pouvoirs publics. Ces deux associations existant bel et bien (sous des noms légèrement différents), le film est à ranger dans la catégorie fourre-tout des "œuvres basées sur une histoire vraie".


Et posons dès à présent une remarque utile : le film est centré sur l'action de ces associations, au travers de leurs dirigeants, plutôt que sur le quotidien des enfants... Celui-ci est tout de même montré, mais moins mis en avant.


On note dès le début du film une petite originalité (qui pourtant est bien réelle) : le président de l'une des assos (rôle interprété par Vincent Cassel) est un juif pratiquant (kippa et port des frange sur le côté du pantalon), tandis que celui de l'autre asso (rôle interprété par Reda Kateb) est musulman, également pratiquant (sans signes extérieurs de son côté).


Cette précision est importante car je me suis posé la question tout le long du film du choix de mettre en lumière deux personnes religieuses, et ai compris à la fin que l'histoire était basée sur deux hommes existant bel et bien (les présidents de ces deux assos, donc). Nous avons de fait un exemple précis de deux personnes religieuses qui travaillent ensemble sur un sujet complexe qui les dépasse, mais qui du coup les rassemble.


C'est intéressant et cela porte implicitement un message positif, mais ce constat n'est ni une qualité, ni un défaut pour le film. Je m'explique. On va voir tout le long qu'il y a une présentation douce du vivre-ensemble, avec une très grande mixité culturelle. Celle-ci fait plaisir à voir, d'autant plus qu'elle est basée sur une réalité... Sauf que le film donne le sentiment que c'est plus ou moins toujours comme ça que cela se passe dans la vraie vie, alors même qu'il s'agit, plutôt, d'une exception.


Il porte également un regard doux sur des personnes très religieuses (on voit de nombreuses femmes voilées et de rabbins dans le film) qui sont présentées de manière très sympathique et qui vivent joyeusement ensemble.


Or, si une personne peut être tout à fait sympathique, peu importe son orientation religieuse (encore heureux) et son niveau de religiosité (je rappelle au passage et à toutes fins utiles que le voile est avant tout un marqueur sexiste qui a été promu de manière pseudo-religieuse par des bigots, avant d'être adopté par des personnes (parfois) plus modérées), il faut tout de même noter que les personnes les plus religieuses vivent en communauté globalement fermée. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas avoir des échanges cordiaux voire amicaux avec ses voisins (c'est même souvent le cas). Simplement, il n'y a pas de mélange inter-communautaire quand les personnes vivent de manière intense leur religion (concrètement, les mariages mixtes, vous pouvez oublier, par exemple).


Je dis ça en étant moi-même de culture juive, mais sans être pratiquant ni croyant. De mon point de vue, j'ai constaté que les Juifs "athées / agnostiques" comme moi, ainsi que les Juifs libéraux, n'avaient pas de problèmes pour se mêler aux autres, comme n'importe quelle personne lamba. Mais les personnes très religieuses, bien que respectueuses (sauf si ce sont des connards, mais il y en a partout) vivaient quasi exclusivement entre elles (dans leur vie privée j'entends). Et je sais que c'est plus ou moins la même chose pour la plupart des minorités ethniques et/ou religieuses. Une partie "s'émancipe" et se mêle à "l'ensemble" (sans renier ses origines) tandis qu'une autre reste enfermée dans son milieu communautaire (disclaimer : je ne blâme pas les minorités en disant cela, mais plutôt les difficultés d'intégration classiques rencontrées, qui amènent à cet état de fait).


Et donc ce film semble vouloir dire que le vivre-ensemble, c'est trop cool, et j'aurais tendance à vouloir le croire, puisque ce qui est montré dans le film est positif. Sauf que la réalité est beaucoup plus complexe que cela. Alors le film s'interroge peut-être à un ou deux moments sur la question (attention spoilers) : lorsque Bruno (Vincent Cassel) drague maladroitement une jeune femme noire (sûrement musulmane), mais que l'épisode s'arrête là-dessus ; ou encore lorsque les deux assos se chamaillent gentiment pour savoir laquelle des deux le nouvel employé préfère, et en lui faisant une sorte de "chantage ethnique" pour qu'il choisisse. Mais cela reste des petits moments d'interrogation qui ne vont pas plus loin. Le film aurait à mon sens gagné à être plus poussé sur ces questions-là, même s'il ne s'agit pourtant pas de son thème principal. On aurait eu une vision plus claire et assumée des réalisateurs/scénaristes sur ce sujet (encore faut-il qu'ils en aient une).


Ce long aparté terminé, quel est le thème principal du film, justement ? Et bien le quotidien de ces assos, et surtout les énormes difficultés que ses dirigeants rencontrent, pour garantir une prise en charge décente des personnes autistes. Les deux associations fonctionnement différemment mais travaillent main dans la main. Celle de Bruno (Vincent Cassel) accueille de manière classique les enfants, et fait face à un trop-plein de demandes qu'elle gère difficilement. Celle de Malik (Reda Kateb) dispose d'une double casquette : ses employés sont des jeunes issus de milieux défavorisés, et ce sont eux qui vont animer les sorties avec les enfants autistes. Une fois les jeunes formés, ils peuvent basculer dans la première asso, si celle-ci est à court de main d'oeuvre.


A côté du fonctionnement de ces deux assos, on suit plus spécifiquement la prise en charge de deux ados/jeunes. L'un des deux est très proche de Bruno, car il s'agit du premier enfant autiste que celui-ci a pris en charge, ce qui a conduit à la création de l'asso. Le second est un jeune soumis à des pulsions de violence envers lui-même, car il n'arrive pas à gérer ses émotions. Il est suivi depuis l'hôpital avant d'être pris en charge par l'asso. A travers ces deux jeunes, on comprend un peu mieux les difficultés d'adaptation des autistes au monde. Le film en devient parfois même éprouvant, mais de fait, son qualificatif de film "nécessaire" n'est pas usurpé. On pourra lui reprocher de ne pas adopter de manière plus approfondie le regard des autistes, mais je pense que l'entreprise aurait été autrement plus complexe et casse-gueule (ou en tout cas, cela aurait mérité un second film).


Sur la construction du film, on est dans un procédé très classique : on nous présente diverses situations, puis on nous montre comment celles-ci sont gérées par les personnages principaux. En parallèle, nous avons deux inspecteurs chargés de vérifier la cohérence et le respect des règles de l'une des assos. On a le droit du coup à quelques scènes assez inutiles où on les voit questionner différentes personnes sur le bien-fondé de l'asso. Un procédé à mon sens assez lourdingue. Par ailleurs, il y a quelques passages pseudo-romantiques. Eux fonctionnent bien, car sont traités sous forme d'humour, mais on ne va pas non plus jusqu'au bout. Cela reste de petites espaces d'aération du récit, qui sont les bienvenus.


Quelques mots sur les points habituels à relever (lorsqu'on parle de cinéma) :
- La réalisation est classique, sobre, mais efficace. Aucun souci majeur là-dessus.
- Les acteurs, eux, sont excellents de bout en bout, en particulier les deux principaux (Vincent Cassel crève l'écran, il m'a vraiment étonné).
- Par contre, la musique tire-larmes est assez banale et plombe le ton du film. Retirer la musique ou en proposer une plus sobre et moins présente aurait été préférable.


Bref, pour résumer, le film a le cul entre deux chaises :
- Il arrive à nous faire pleurer sur des situations dramatiques, tout en nous maintenant la tête hors de l'eau via quelques notes d'humour, et une présentation très sacro-sainte de ces deux héros (les présidents des assos).
- Mais en même temps, son propos devient parfois lourdingue, avec une critique un peu "too much" de l'impuissance et de la froideur des pouvoirs publics, avec en plus cette musique rébarbative qui est là pour nous dire "c'est le moment de pleurer". La fin en forme de long tract ne joue pas non plus en sa faveur.


Malgré toutes mes réserves, j'ai tout de même trouvé que le thème était bien traité et qu'il sensibilisait à une problématique finalement assez peu connue. J'ai également apprécié cet éloge implicite du vivre-ensemble, malgré mes réserves indiquées plus haut sur sa réalité.

joseaxe9
7
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le 1 nov. 2019

Critique lue 239 fois

Jojo's Jar

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