Polémique et contreverse sur un sujet hautement explosif


Jamel Debbouze :
Juste après la deuxième Guerre Mondiale, la France exulte parce qu'elle vient d'être libérée des Allemands, le général De Gaulle défile sur les Champs Élysée, les Algériens font la fête à Sétif de la même manière. On ne sait pas si c'est des rébellions ou si c'est une fête, mais quand des Français crient : "vive la liberté !", les Algériens crient : "vive l'indépendance !" C'est un tournant décisif de leur histoire et ça donne vraiment lieu à la création du FLN. Le front de libération nationale né à ce moment-là.
À ce moment-là il y a une confusion terrible à Sétif, et c'est ce qui donnera le massacre de Sétif. Tu comprends d'autant plus l'humiliation, tu comprends d'autant plus ce qui les pousses à aller jusqu'à mourir. Le contexte est particulier, c'est la guerre. Après évidemment je ne jette la pierre à personne mais c'est certain que des gens vivent une vraie injustice, ça crée une vraie frustration et les frustrés on sait ce qui sont capables de faire. Tout ça me paraît presque logique malheureusement, c'est terrible à dire mais oui c'était la suite logique de l'histoire du peuple algérien d'aller chercher à la force de ses mains sa liberté. L'Algérie était bloquée et la seule manière de pouvoir débloquer les choses, je suppose que c'était à partir de Paris. À partir de l'endroit où sont prises les décisions.



Après l'excellent Indigènes, le réalisateur Rachid Bouchareb présente une nouvelle fresque historique faisant suite, qui on peut le dire en a fait jazzer plus d'un, tant le sujet abordé est hautement explosif. Même si le film possède un brain de militantisme, son intrigue reste pertinente et distractive. Après tout si les productions ricaines ne ce gêne pas pour déferler un paquet de propagande activiste sur la puissance américaine, se considérant comme les sauveurs du monde n'hésitant pas au besoin à remodeler l'histoire à leur avantage à travers certains de leurs nombreux films, Rachid Bouchareb a bien le droit de faire de même avec l'Algérie. Sachant que le cinéaste ne remanie pas l'histoire à volonté, il passe seulement quelques éléments pas très propres du FLN sous la trappe. Bouchareb prend parti pour ses personnages principaux qui pourrait être considéré par certains comme des terroristes (tout dépend de la position de chacun) sans pour autant tomber dans la désinformation ni le boniment puisqu'il n'est pas tendre non plus avec eux, n'hésitant pas à faire basculer ses personnages dans l'extrémisme avec un oeil tout de même critique. Tout ce qu'il y a dans ce film n'est pas à prendre au pied de la lettre, car si le récit est avant tout tiré d'une histoire vraie, le cinéaste n'oublie pas qu'il a un film entre les mains et qu'il faut le rendre attractif, sinon autant faire un documentaire.


Rachid Bouchareb :
"Au milieu de tout ça, il y a le cinéma quand même. Donc faut faire un film, et un film qui puisse aussi passionner le spectateur qui n'a pas envie de s'encombrer comme d'un Indigène de tous les éléments et de tous les repères historiques. Il peut les prendre mais il peut les laisser de côté et voir un film de guerre, avec des scènes de bataille. Dans Hors-la-loi c'est pareil. Il va voir un film policier, un flic qui poursuit des résistants, mais pour lui ce sont des gangsters, des terroristes, des hors-la-loi. Parce que hors-la-loi je l'ai trouvé dans les archives, je l'ai trouvé dans la presse d'époque, je l'ai trouvé dans les commentaires de l'époque d'actualité, qui disait les hors-la-loi. J'ai trouvé que c'était un titre intéressant et que mon film finalement c'était aussi un western."


Voilà, à partir de là je pense qu'on peut donc souffler un bon coup et arrêter de s'énerver et de se disputer pour savoir si le sujet du long-métrage doit être applaudi ou répudié. Nul coupable français ou Algérien à dénoncer, ou calomnier autour de cette oeuvre. À l'époque des morts et des horreurs il y en a eu dans les deux camps, c'était une époque violente où chacun porte ses morts. Rachid Bouchareb nous parle de la lutte fratricide entre le MNA (Mouvement national algérien) contre le FLN (Front de libération nationale) afin de revendiquer la révolution pour libérer l'Algérie de l'occupation Française. Si des parts importantes de vérités dérangeantes sont bien présentes dans Hors-la-loi (eh oui il faut savoir composer avec son passé aussi pourri soit-il pour pouvoir en tirer les bonnes conclusions et je dis cela pour tout le monde), d'autres éléments sont purement fictif afin d'assurer le spectacle, et d'autres sont passés sous trappe. À partir de là, vous pouvez ranger les drapeaux et les insultes, pour simplement vous laisser aller à Hors-la-loi, qui présente trois frères algériens venus en France dans les fameux bidonvilles de Nanterre pour lutter pour l'indépendance de l'Algérie via le front de libération nationale en France.


Techniquement Hors-la-loi est impressionnant, que ce soit dans la gestion incroyable des décors des années 50 (l'Algérie, Pigalle, le bidonville de Nanterre), la gestion des costumes, la gestion des divers plans artistiques, jusqu'à sa mise en scène particulièrement fluide et remarquable. La réalisation de Rachid Bouchareb est soignée, parvenant à faire mouche autour de la retranscription de l'époque à laquelle gravite son histoire. Le scénario est en partie bien menée, la dimension familiale des trois frères avec leur mère ajoute au sujet de crise du crédit, de la texture et du fond. Je regrette néanmoins un manque de finalité autour de la mère qui n'aura droit à aucune conclusion alors qu'on la suit un moment. Le rythme est bon, les différentes fusillades sont efficaces, on croirait voir du De Palma à l'oeuvre. L'affrontement idéologique entre la police française et la résistance algérienne FLN amène son lot de séquences choquantes comme lors du massacre dans les rues de Sétif en début du film, qui marque clairement les esprits. Avec un maximum de réalisme, un maximum d'émotions, un maximum de vérité, un maximum de fiction et un maximum de spectacle, Rachid Bouchareb assure avec excellence.


Il est vrai que le film ne fait que survoler le contexte historique mais en même temps le propos n'est pas dans la traduction 100% conforme de l'histoire vraie, qui est bien trop vaste pour être résumé en un film de deux heures.
Comme dit si bien Rachid Bouchareb :
" On n'a pas demandé à Coppola quand il a fait Apocalypse Now de raconter toute la guerre du Vietnam."


Les trois comédiens principaux font fort en proposant beaucoup de justesse et de sincérité à l'écran. Un travail remarquable autour de l'émotion véhiculé et de la dimension transmise aux personnages. Jamel Debbouze dans le rôle de Said est très bon, je ne suis pas très fan du comique, mais l'acteur lui est vraiment bon. Ce que j'aime chez Said s'est qu'il est mesuré dans ses propos, il ne bascule pas comme ses deux frères dans l'extrémisme total, il veut avancer avec la France. Sami Bouajila est une fois encore totalement imprégné par son personnage, il est transcendant dans le rôle d'Abdelkader. Roschdy Zem encore et toujours excellent. Sous les traits de Messaoud, Zem est percutant. Personnage traumatisé qui va de l'avant en portant le lourd fardeau des nombreux meurtres qu'il a commis. Punaise de punaise, il est dramatiquement tellement bouleversant qu'il m'a fait verser une larme lors de sa confession à sa mère, où le comédien tremble, pleure, bave et transpire l'authenticité. Sachant que les parents de Roschdy Zem ont vécu dans le bidonville de Nanterre, le tournage à dû être particuliers pour lui. C'est impensable d'imaginer des familles entières vivre et donner la vie dans ce gigantesque bidonville.


CONCLUSION :


Avec Hors-la-loi le réalisateur Rachid Bouchareb présente l'après-Indigène avec les décolonisations à travers une période historique très dure où des Français se sont livrés à des massacres comme celui de Sétif. Le cinéaste présente " Il était une fois l'Algérie et la France ", dans une oeuvre jonglant habilement avec le réel et la fiction, où personne n'est fondamentalement mauvais ni bon, mais clairement coupable. Je comprends ce besoin pour Bouracheb de vouloir partager cette histoire dont on parle peu et qui pourtant est comparable avec le pire du pire. Nous ne sommes pas coupables ni responsable des actes de nos pères, c'est pourquoi il faut regarder cette oeuvre sans être sur la défensive pour découvrir une vérité qui dérange, mais également et avant tout un excellent film qui n'oublie pas d'assurer le spectacle, en gérant le côté historique et fictif. Du vrai et grand cinéma.


Une grande oeuvre algéro-française, dans la droite lignée des grands films américains du genre.




  • Maman a raison. Si t'es un bandit, personne ne te respecte.

  • Bandit ? C'est qui le bandit ? Moi ? Dans ce pays, soit t'as de l'argent, soit tu vaux rien. Ton frère est libre.

  • Je serais libre quand mon pays le sera. Il faut qu'on soit des hommes libres. Et que tout change.

  • Mais de quoi tu parles ? Tu veux tout changer avec ces ouvriers ?

  • Ecoute, aujourd'hui on est trois. Demain, on ralliera tout le bidonville. Notre cause est juste.


B_Jérémy
8
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le 8 août 2020

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