Il est de ces films qui vous laissent un sentiment de magnificence et de grandeur jusqu'à définitivement vous achever par leur beauté même. Des films à l'émotion sans pareille qui vous brisent comme ces âmes anéanties dans le chaos belliqueux des premiers hommes. Hostiles est assurément de ces films-là, l’œuvre d'un genre qu'est le western toujours plus condamné à la réussite face à l'atemporelle grandeur de ses aînés. Un héritage lourd pour quiconque se lance dans une entreprise telle, un legs dont il sera définitivement question dans ce monde crépusculaire à la trop humaine destiné.


Réalisateur du désespéré Out of the Furnace et ses esprits consumées, Scott Cooper nous dévoile ici le chemin de croix d'une civilisation funeste sous le feu solaire de la fatalité propre à son espèce. En empruntant au genre ses plus grandes lettres de noblesse, de la majesté des cadres arides et infinis d'autrefois à l'humanisme prononcé d'un plus récent Dances with Wolves pour ne citer que lui, le film embrasse alors la couleur crépusculaire contemporaine pour sans doute mieux la dépasser aussi. Le règne de la force dans sa splendide décadence comme peinture ensanglantée d'un périple ultime forgé par les maux et les épreuves, tel sera alors le sort réservé à nos mourants en puissance. Dès les premières minutes c'est l'omnipotente violence qui éclate sous nos yeux, une déchaînement impartial qui au détour de deux séquences successives aux rôles inversés brise tout manichéisme tendancieux, programme d'une chute annoncée pour une Amérique inlassablement gangrenée dans son aliénante et carnassière liberté. Une condamnation indissociable d'un recul certain, Hostiles ne pouvant alors simplement se cantonner à ce cortège funèbre naturel, il sera également le lieu du pardon comme de la justice mais en aucun cas celui de l'oublie. Une croisade intérieure inespérée pour ces individus inlassablement de passage dans cette cancéreuse vie au voile naturel pourtant si sublime.


La mort structure alors ce monde verdoyant dans sa sauvagerie vengeresse comme dans son abandon existentiel. Des êtres inévitablement déplacés comme dépassés par l'insignifiante paperasse des intérêts de l'Histoire il est vrai. C'est pourtant par l’œil de notre réalisateur qu'ils forgent à leur tour cette grande Histoire, celle d'une éternelle lutte contre soi et autrui sous la parole des dieux et figures de chacun d'entre eux. Ôter la vie comme la voir s'en aller est une norme qui vous ronge et vous délivre à l'image de Thomas ce mélancolique incapable d'éprouver le monde sinon sa mort. Il faut alors mimer le sauvetage de ce territoire, écrire la réconciliation par le geste, celui de raccompagner le chef Cheyenne Yellow Hawk autrefois la barbarie incarnée désormais sur la fin lui aussi ainsi que sa famille depuis sept ans incarcérés.


Un retour sur des terres ancestrales comme ultime mission conférée au capitaine Joseph Bloker au moment de rendre les armes. Un homme forgé dans la violence et ses ravages à ne plus voir le temps passer. Comptant ses amis disparus plutôt que les années. Interprété par un Christian Bale beau de talent, suintant cette haine déterminée comme la compassion, puis ce regard parcourant le latin de Jules César jusqu'à transpercer d'émotion le spectateur que j'étais. La performance se passe de qualificatif, l'acteur touche ici à l'expérience de cinéma indéfinissable, Scott Cooper parvenant à transcender le récit pour un vécu à la portée spirituelle et vitaliste désormais bien trop rare. Rosalie incarnée par la beauté d'un cinéma d'une autre époque de Rosamund Pike porte en elle cette force aussi, celle d'un refus de la fin par la croyance en des forces supérieures pour mieux les faire siennes ensuite. Mais un tel constat d'excellence dans l'acting vaut pour la totalité du film. A ce titre combien d’œuvres peuvent encore récemment se targuer d'une si exemplaire exploitation de ses acteurs comme de ses personnages, qu'il s'agisse du caractère introspectif comme symbolique ? Ces derniers sont tous indispensables à ce périple de la fin oscillant sans cesse avec le nihilisme sans définitivement y sombrer toutefois, quand certains céderont d'autres à l'inverse lutteront par l'acceptation. Condition pour espérer prétendre à autre chose, à un inconnu pourquoi pas salvateur. Un monde de survivants sans place pour des héros condamnés à périr.


Tel un premier bilan de l'Histoire c'est alors une succession de tableaux qui se dévoilent sous nos yeux. Le beau dépassant ainsi cette absence de repères, le mal n'ayant plus de sens, la douleur se perdant parfois même dans les limbes de l'oublie. Face à la fatalité des lieux et leurs hôtes, les cœurs déchirés se retrouvent, les liens se tissent à nouveau. Les étincelles ne sont alors plus si vaines. La réalisation magistrale offrant à son tour tant de cadres et scènes d'anthologie. Ces crépuscules incessants baignés de violence mais de sagesse aussi comme lors d'une poignée de main mémorable entre les deux chefs de guerre tel les parfaits reflets d'un échec nécessaire au nom du cours de l'Histoire. Une faillite générationnelle synonyme d'une défaite de l'humain mais pas seulement. Hostiles embrasse notre nature par cette haine avouée, mais les pages de l'espoir sont encore à écrire. Autant de voyages que de personnages ici, entre errances et révélations, dépressions et incertitudes.


L'ultime vie enlevée signe alors la dernière étape de ce parcours a priori sans retour. Le déchirement total, l'accomplissement désespéré au quatrième mur brisé, une violence sans frontière pour notre protagoniste littéralement délivré de son costume mais embrassant paradoxalement de fait l'humanité même. Une écriture définitivement transcendée par ces toiles de monde quand les compositions toutes aussi magistrales de Max Richter raisonnent et cristallisent cette mélancolie sublimée au désenchantement sans pitié. De ces innombrables corps à la violence extrême émane ainsi un poème de rayons solaires qui transcende chaque individus, chacun de leurs pas et regards. De l'émotion pure, la poésie incarnée. Une chute magnifiée à l'élévation incertaine.


Tout s'achève alors sur ce lieu indissociable du genre et son art qu'est la gare, ce lieu de passages déshumanisé par excellence. Mais comme ultime tour de force c'est pourtant bien là, sous les notes à l'ineffable beauté de Never Goodbye, que le poing s'ouvre alors comme les cœurs au nom d'une main tendue à autrui et par conséquent à la vie.

Chaosmos

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