Scott Cooper se base sur une histoire classique mais chargée d’une puissance émotionnelle très forte. Plus qu’un western, c’est un drame profondément tragique, hanté par la mort et lourd d’une atmosphère funèbre. Le film adopte un rythme lent, contemplatif et jonché de dialogues pour mieux suggérer la souffrance morale et physique des protagonistes. Malgré les grands espaces et une photographie magnifiant leur ardeur crépusculaire, la mise en scène opte pour un angle intime, saisissant les fêlures ou les regards exprimant des sentiments enfouis dans les cœurs noirs. Rarement les mots finesse et subtilité auront été justifiés à ce point dans un film. Le récit pourrait être d’une incroyable lourdeur, sa capacité à mettre en avant les gestes et les regards avec pertinence finit de sceller des séquences incroyablement déchirantes.


Le manichéisme n’a pas sa place dans le récit. En multipliant les points de vue, tous les personnages apportent leur questionnement et leur vision du conflit avec cette même détresse : retrouver une humanité. « Je crois fondamentalement en Dieu mais je pense qu’il s’est détourné de ce qu’il se passe ici depuis longtemps ». Des paroles symboliques venant de Blocker, un homme constamment déchiré entre son passé et l’évolution de leur situation actuelle. Sans cliché ou facilité, le rapport qu’il va entretenir avec les indiens, notamment le chef Yellow Hawk, permet de regarder l’autre au fond des yeux. Tout le monde est réunit dans la mort. La tristesse, la colère et le désespoir meurtrier affectent les deux camps. L’incapacité à communiquer, à écouter ou à partager a permis de propager un mal incurable telle une malédiction.


« Hostiles » n’a rien d’un récit initiatique. Le chemin parcouru est plus une série d’épreuves ayant un effet miroir sur les actes qu’on pu avoir les personnages dans leur vie. La folie d’une mère ayant perdu sa famille, la constante attirance du suicide, les mains à jamais marqué par le sang ou les paroles embuées de sanglots, ce sont des adieux constants. C’est la fin d’une vie, la fin d’une époque. Pour que les générations futures puissent enfin vivre en paix, les ainés doivent alors accepter de tourner la page. Un geste éreintant mais fort. Il n’est plus question de savoir qui a commencé mais de pardonner et d’avancer. Un propos ni maladroit ou larmoyant : l’intelligence de l’écriture et le formidable jeu des acteurs font basculer le film dans la franche réussite.


La pudeur de ne pas prononcer des mots de trop, être présent pour l’autre dans son deuil ou encore serrer la main de l’ennemi évitent même au film de basculer dans un fatalisme prévisible ou un peu complaisant. « Pars et ne te retourne pas », une phrase digne et vibrante qui permet même d’apporter la lumière. La photographie joue avec le climat et les paysages pour mieux faire ressentir la torpeur morale des protagonistes. L’aridité du désert et la morosité de la pluie laissent la place à la douceur du soleil et aux vertes prairies. La fin, tout simplement une des plus belles de ces dernière années, finit avec beaucoup d’humanité de sceller l’importance du choix que les Hommes ont toujours pour guider leur vie.


« Hostiles » est un grand western, une expérience dure mais humaine, notamment sur un sujet dont on pensait avoir fait le tour d’un point de vue cinématographique. Christian Bale trouve son meilleur rôle à ce jour et soutient merveilleusement une épopée qui n’a pas encore trouvé sa juste reconnaissance à mon sens. Gageons que dans quelques années, le film de Scott Cooper trouve son chemin dans le cœur des cinéphiles.

AdrienDoussot
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le 19 oct. 2020

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