Qui aurait pensé que Martin Scorsese, après Shutter Island, adapté de l'étouffant thriller de Dennis Lehane, allait se recycler dans le cinéma tout public? On imaginait mal comment un artiste hanté par la violence et la folie pourrait s'accomoder des contraintes formelles et scénaristiques d'un blockbuster à usage familial, adapté d'un livre illustré pour enfants de Briar Selznick. C'était oublier que le réalisateur américain avait déjà su faire preuve de beaucoup de sensibilité par le passé, par exemple dans Alice n'est plus ici, New York, New York ou Le temps de l'innocence, parenthèses plus légère, voire romantiques, dans une œuvre qui ne fait généralement pas dans la délicatesse. Avec Hugo Cabret, une superproduction qui a coûté la bagatelle de 170 millions de dollars, Scorsese semble s'être avant tout intéressé aux moyens technologiques illimités offerts par pareil budget. L'occasion aussi d'explorer les potentialités de la 3D , qu'il exploite avec brio et intelligence, privilégiant les travellings vertigineux à travers des décors pharaoniques où réel et virtuel se fondent sans qu'il soit possible de les distinguer.
Même si I'on est bluffé devant les prouesses visuelles déployées par Scorsese et son équipe, on peine à se passionner pour une intrigue qui se caractérise par une totale absence de rebondissements. Une fois découvert le «secret» du film, ce qui aurait pu être une quête initiatique mâtinée d'aventures façon Jules Verne ou Eugène Sue se transforme en hommage terriblement compassé au cinéma des origines. La perfection des effets 3D , plutôt que de créer un effet de réalité subjuguant, renvoie à un monde artificiel dont la froideur virtuelle contraste avec les bricolages poétique jadis filmés par Méliès et ses pairs. D'où une impression de désenchantement, comme si le film de Scorsese, au lieu d'ouvrir des portes sur une nouvelle dimension cinématographique, ne faisait que sonner le glas d'une magie et d'un savoir-faire à jamais perdus.