Fellini a déjà parcouru la moitié d'une mythique carrière, et c'est la crise existentielle d'un réalisateur quarantenaire, qui fait part de ses doutes, de ses interrogations et de ses désirs dans cette oeuvre charnière, pivot essentiel qui témoigne d'un tournant désormais totalement assumé vers des films beaucoup plus baroques et surréalistes... Une sorte de plaidoyer pour sa (brillante) nouvelle carrière à suivre.

Génie? Imposteur ? Magicien ? Artisan de cirque ? Formidable bluffeur ? Voilà quelques questions qui se posent quant à la vraie nature de Guido, personnage de réalisateur dépressif, interprété par Mastroianni, et double de Fellini lui-même.

Doit-il se révéler aux autres en réalisant un nouveau "chef d'oeuvre", ou garder amoureusement tous ses fantasmes et tous ses délires pour lui seul, et en ne prenant pas le risque de les déflorer en les matérialisant avec tout ce que ça comporte de contraintes et de déceptions : actrices insupportablement chiantes, producteurs qui transforment des idées en chiffres à additionner au budget, cirque médiatique, vie conjugale complexe, Critiques qui considèrent qu'il vaut "mieux détruire si on ne crée pas l'essentiel" et qui violent l'intimité d'un homme en le jugeant à travers son oeuvre infiniment personnelle?

Où sont les places pour les simples rêves, l'imaginaire et le désir d'évasion d'un homme qui ne veut pas oublier la magie de l'enfance, et qui dans le fond se contrefout de délivrer dans ses oeuvres des messages prophétiques et vains, mais s'intéresse plus modestement aux émotions, aux ressentis, et aux souvenirs intimes et mélancoliques ?

Le film est donc une sorte de catharsis, permettant à Fellini de mettre à plat toutes ses angoisses personnelles pour se libérer de ses fardeaux et pour réussir à créer. Je préfère d'ailleurs lorsqu'il crée directement, que lorsqu'il raconte pourquoi il a du mal à créer, et d'ailleurs, j'aimerai en voir plus souvent des réalisateurs aussi "peu inspirés" que lui et angoissés à ce point par la page blanche.

Au bout du compte "Huit et demi" est un film hyper théorique, très intéressant, voire passionnant, mais forcément un peu chiant.

J'ai toujours eu du mal avec les films illustrant des vides existentiels, des errances psychanalytiques de personnages paumés dans un univers angoissant. L'ennui du personnage de Mastroïanni m'a un peu contaminé et j'ai parfois fait quelques pauses au cours du film, histoire de me régénérer, pour mieux repartir.

Et hormis quelques séquences oniriques de-ci de-là (la séquence des termes, le harem et la musique des Walkyries, où l'on découvre en réalité que Fellini rêve d'être un bon gros bébé dans le corps d'un adulte, muni d'un fouet à la Indiana Jones), le film est justement peu foisonnant, peu flamboyant, tend même à l'épure visuelle, et c'est parfaitement lié au vide existentiel que traverse le héros.

Mais bon, du coup j'ai trouvé ça un peu plat, vaguement interminable (2h20 de vide bon sang!) incroyablement bavard, presque trop sage, et j'ai probablement fait l'erreur de voir antérieurement "Intervista" l'avant-dernier film de Fellini complètement oublié, et qui pourtant évoque à peu près les mêmes thèmes, dans une logique encore plus poussée.

"Intervista", qui ne m'a pas non plus totalement transporté cela dit, est bien plus complexe, puisqu'il s'agit d'un vrai-faux documentaire, où Fellini est joué à la fois par lui-même en train de préparer une adaptation d'un roman de Kafka, et un tout jeune acteur Sergio Rubini qui l'incarne dans les séquences de souvenirs du temps où il était un jeune premier. Et le tout se mélange, se croise sur le même plan, dans la même temporalité, avec élégance et finesse. Il y a d'autres points communs importants, comme la constitution de vrais faux décors similaires, de vastes échafaudages qui au bout du compte ne serviront à rien.

Mais il y a dans "intervista" une maturité supplémentaire, une mélancolie qui s'installe, là où dans "huit et demi", je vois plutôt les pérégrinations d'un type mou dans un univers chiant comme la pluie.

Et là j'en viens à un autre problème très personnel : Marcello Mastroianni.
Malheureusement, je n'en suis pas du tout fan, il a la classe, y a rien à dire, mais je ne sais pas..
Je trouve que ça ne colle pas avec l'univers de Fellini, et je suis bien heureux qu'il ne soit pas le personnage du "Casanova" de Fellini, mais qu'il ait plutôt opté pour le choix absurde de Sutherland qui apporte une vraie dose de délire et de n'importe quoi jouissive.

Il est trop propre sur lui, sans aspérité, trop lisse, trop sage, trop mou, et il est beaucoup plus intéressant en vieillissant, et affublé d'une moustache (cf là encore intervista, ou bien léo the last où je l'avais trouvé excellent). Là où Sergio Rubini dans Intervista avec 10 fois moins de charme et de répliques, était pour moi infiniment plus attachant et surtout crédible dans le rôle de Fellini (la ressemblance physique étant d'ailleurs frappante).

(EDIT : Marcello est génialissime dans la Dolce Vita que je viens de voir)

Et c'est pareil pour le reste du casting, je n'ai pas trouvé les personnages hyper intéressants en soi, Anouk Aimée en tête, assez lourde, assez répétitive, assez fatigante, et pour le coup un véritable fardeau (donc ça colle avec l'idée du film).. Ni Claudia Cardinale toujours à-propos dans des rôles de pots de fleurs.
Ni la Saraghina qui se contente de danser lourdement sur la plage et qui n'est qu'un brouillon des formidables et exubérants rôles féminins à venir (Amarcord en tête, de la Gradisca, à la Volpina, à la femme du bureau de tabac façon Russ Meyer avec des nichons et un cul en dehors de toute proportion humaine)

Alors bon, je lis dans les critiques ultra élogieuses, que tous ces acteurs sont "beaux", oui mais ça personnellement je m'en contrefous comme de ma dernière paire de chaussettes.

Comme le héros, je me suis senti à l'étroit dans le film, jusqu'au final libérateur, salvateur.
Il s'agit au fond toujours de la même chose, faire du cinéma, c'est avant tout vouloir désespérément retrouver le joyeux cirque de son enfance.

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le 28 juin 2013

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KingRabbit

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