Pas de Printemps pour Banner
Le film s’enclenche sur la mélodie en spirale de Danny Elfman – tourbillon qui sent bon le drame et les vertiges Hermanniens de Sueurs Froides – et s’ouvre sur une vision poignante : cette image de big bang provoqué par une larme, et dont la déflagration accouche d’une cellule à l’échelle de l’univers, donnant le ton singulier d’une œuvre malade, bancale peut-être, tant elle est habitée par ces forces antagonistes qui la morcellent et la déséquilibrent, la conduisant sans cesse aux limites de l’implosion ou de l’explosion.
Ang Lee fait de son Hulk une relecture surprenante de Pas de printemps pour Marnie. Mais si Marnie avait enfoui son trauma sous une brume rouge sang, la tourmente de Bruce Banner, elle, est refoulée sous une épaisse nappe de plasma verte. Forcément.
La démarche a de quoi surprendre, d’autant que la forme se déploie sans complexe en conjuguant de manière déroutante cinéma et bande dessinée, dans ses couleurs vives, dans son montage ludique reproduisant la lecture d’une planche de comics. Mal-aimée, cette adaptation est pourtant pleine de trésors : avec ses pauses oniriques comme ces méduses en dérive dans le désert, ses respirations contemplatives et mélancoliques qui s’attardent sur la texture d’un bois mort ou sur le souvenir d’une photo qui d'un coup s'anime, son audace dans la mise en scène comme la sécheresse théâtrale qui souffle sur la dernière confrontation entre le héros et son père. Et son indéniable parfum hitchcockien… et les superbes yeux en larmes de Jennifer Connely.
Mais si Hulk me touche autant, c’est d’abord parce qu’il est totalement à l’image de son héros : dans son introversion poignante (le feutre délicat de la relation brisée entre Bruce et Betty), dans ses phases de régression aussi honteuses que jouissives (cette hallucinante séance de catch nocturne avec un caniche mutant), dans sa volonté de ne jamais se laisser dominer par l’animosité ou la violence, dans cette sensibilité rentrée dont il fait le magma de cette montagne de divertissement.
Et surtout, dans sa nature hybride où s’accouplent tous les extrêmes : le fantasme engendrant l’atome, le drame engendrant la matière, la chair réelle engendrant la chair virtuelle. Et, comme dans tous les grands récits tragiques, l’intime engendre l’universel.
C’était dit dès la première image. Une larme engendra l’Univers.