I Feel Good est un délire absurde assumé. C'est Brice de Nice au pays du Groland, qui après sa période surf se lancerait dans l'entrepreneuriat, avec la même bravoure absurde.
Jean Dujardin porte ce personnage jusqu'à l'os, et te vend de l'enfumage pour neuneus avec conviction. Je veux dire, il faut être particulièrement barré pour balancer des textes aussi absurdes et insensés, pour te vendre absolument tout et surtout n'importe quoi. Et c'est là qu'il faut voir tout le génie de Jean Dujardin. Il suit pas à pas la petite méthode de l'enfoiré moyen, il y va à fond. Il y manie le mensonge et même l'auto-persuasion comme une seconde langue. Il joue à la perfection cette homme obnubilé, voire hypnotisé par sa course à la réussite, en mode ado attardé, prêt à vendre par tous les moyens, ciblant l'ultime clientèle, le fond du fond de l'absurdité capitaliste en bout de course : les pauvres, les gens en marge, les laissés-pour-compte de la surconsommation pour un tour low-cost de la chirurgie low-cost.
Car dans cette société à l'économie pyramidale, les riches sont devenus hypers riches, et les pauvres sont devenus en masse hyper pauvres. Mais le capitalisme décérébré s'adapte, et adapte le nouveau modèle : le low-cost. Toi aussi tente ta chance, viens enrhumer du cornard. Et pour que Jean réussisse, il faut bien arriver à convaincre des gogos du bien-fondé de son "produit", de sa nécessité-même, même bancale. Mais c'est ce que notre société fait en permanence, vois-tu. Le mieux est d'écouter une émission de Guillaume Meurice pour s'en rendre compte, ou d'allumer la tv si t'en as encore une. As-tu déjà écouté tous ces communicants, ces vendeurs d'armes, de tabac, de sucre, les politiques, les représentants bancaires, les traders... par quels subterfuges ils nettoient leur conscience ? C'est ahurissant ce mensonge implicite et permanent, on se croirait à un meeting sur l'apologie de l'enfumage grand format.
Et c'est bien là, la criante et hilarante perspicacité des "frères" Delépine et Kervern. Il s'amusent avec ce qu'ils considèrent comme risible dans notre société low-cost : une société pauvre pour des gens pauvres, avec toujours cette carotte d'une réussite hypothétique, si conne. Le grand mensonge auprès de milliards de pauvres autour de cette planète que nous sommes, te leurre pas. Et c'est bien avec tendresse que nos deux réalisateurs dépeignent ce boulevard des rêves brisés.
Quelque part aussi, cette machine capitaliste a besoin de toi pour te vendre tous ces truc-à-bracs. Ils ont besoin que tu y croies et que tu en aies besoin. C'est bien ce que déconstruisent Benoit Delépine et Gustav Kervern, à travers le personnage de Jean et sa nouvelle cible. Ils déconstruisent la machine à mensonges, et vont jusqu'au bout du délire dans ce film, comme faire un voyage à l'arrière d'un semi-remorque par exemple. C'est beau, c'est délirant, c'est absurde...Le pire, c'est que cela représente à l'extrême tout ce qu'on accepte tous au quotidien : le café dégueux, le pain indus, la pizza en carton, les restaus sponsorisés par Findus, le glyphosate, les pesticides à-gogo, les fast-food, tous les Aldi et Lidl du monde, les charters serrés comme des poules pondeuses, les hôtels à deux balles...
La start-up nation, un jeu dont tu serais le héros
On se rêve Ronaldo, alors qu'on est remplaçant dans l'équipe de quatrième division du Stade de Moisy-les-deux Burnes. On se rêve Brad Pitt, alors qu'on a pris encore 5 kilos parce qu'on se nourrit dans des supermarchés low-cost enrichis en sucres et graisses végétales hydrogénées, et qu'on a déjà dépassé les cents patates de Saindoux. On se rêve Stanley Kubrick, alors qu'on est second assistant sur le court métrage d'un copain, ou critique cinéma chez SC.
Delépine et Kervern te racontent en fait que c'est bien nous les gogos, avachis comme deux ronds de flanc, incrédules et vaniteux par dessus le marché.
Cette société a besoin que tu avales, que tu t'engraisses tout en agitant l'hypothétique espoir d'une réussite muni du ventre plat de Brad. En bout de chaîne faudra quand même que tu te fasses refaire ou que tu bouffes les pilules de la cour des miracles.
Ils pointent aussi la dictature de l'apparence, mais surtout cette schizophrénie, cette injonction paradoxale comme quoi il faut que tu consommes, que t'achètes, que tu engloutisses, toujours plus, tout en t’enrubannant de l'autre côté de ce "rêve américain" absurde en filigrane, cette carotte en fond.
Des milliards d'hommes et de femmes Low-cost pour peu d'élus
Vois-tu, nous sommes nous aussi devenus des produits de consommation de la machine capitaliste, qu'on balance comme un déchet. On n'a plus besoin de toi
Et toute la culpabilisation qui s'ensuit, de n'avoir pas "réussi", de ne pas correspondre à ces standards, la dépression, la marginalisation, la surconsommation, le surpoids, l'alcool, puis dans cette logique implacable, l'arsenal médicamenteux et les produits "devenir mince et beau".
A côté de ce cauchemar, Benoit Delépine et Gustav Kervern nous présentent le monde de l'Abbé Pierre, le bon sens, la solidarité, plus stable, plus paisible même. Ils nous présentent cette réalité, mais aussi des êtres qui n'ont pas besoin de toutes ces absurdités. Et c'est bien ce que le film semble dire avec humour, décalage, humanité, absurdité et perspicacité :
"I feel good", je me sens bien.
Les critères d'une vie heureuse sont ailleurs.